Hans Henkemans : Debussy tombé du ciel
L’inattendue réédition de l’oublié Hans Henkemans est le fleuron de l’année Debussy
Avez-vous déjà entendu parler de Hans Henkemans ? Si votre réponse est « non », n’en ayez aucune honte. Henkemans (1913-1995) était, un peu comme Cor de Groot, une vedette locale du piano néerlandais de l’après-guerre. La carrière n’était pas le moteur de sa vie, puisqu’il fit en parallèle de la musique (interprétation et composition) des études de médecine et passa, tardivement, un doctorat en psychiatrie.
À l’image de Cor de Groot, Henkemans fut invité à enregistrer son répertoire de prédilection lorsque, en 1951, Philips constitua une étiquette discographique. Pendant que Cor de Groot enregistrait Beethoven et Chopin, Hans Henkemans s’adonnait à Debussy et à Mozart.
Ses disques avaient été partiellement réédités, il y a une vingtaine d’années, par la filiale néerlandaise de Philips. Mais voilà que Decca (puisque Universal n’a plus l’usage de l’étiquette Philips) ressuscite tout Debussy enregistré par Henkemans entre 1951 et 1957 dans un son rematricé à la perfection. Et cette quasi intégrale en quatre CD est à tomber à la renverse de beauté et d’évidence.
Une référence
En dépit de la monophonie, nous découvrons la source debussyste la plus limpide, plus évidente encore que Walter Gieseking, le mètre étalon historique universellement reconnu. On pense parfois à Monique Haas en entendant cette lumière qui irradie les partitions et gomme tout impressionnisme de pacotille. Mais Hans Henkemans creuse bien plus loin que Monique Haas et crée des mondes et des tunnels comme s’il psychanalysait Debussy (cf. la sauvagerie de Masques).
Miracle: tous les micro-événements sonores sont intégrés dans des arches d’une parfaite logique et tenue, qu’il s’agisse d’oeuvres auxquelles on attache une signification profonde, comme La cathédrale engloutie, ou de simples Danses, à l’image d’une Tarentelle styrienne (plage 3 du CD 3) qui laisse pantois. Tout cela est d’une égalité de réussite, d’une force visionnaire et d’une audace telles qu’il faut parfois réécouter pour se rendre compte que l’on ne rêve pas. Si cette approche à la fois ascétique et d’une très fine sensibilité est à son zénith dans les Études, elle enlève également une couche de verni à bien des partitions.
Nous ne sommes pas là simplement dans le « documentaire » ou le « très bon » : le Debussy de Henkemans est bien plus important et révélateur que celui de Benedetti Michelangeli, pour vous situer le niveau. Parmi les intégrales modernes, on garde Bavouzet, évidemment.