Le Devoir

La Couronne réclame 150 ans de prison pour sextuple meurtre à la mosquée de Québec

Une peine plus sévère que la perpétuité est contraire à la Charte, estiment les avocats d’Alexandre Bissonnett­e

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC

Est-il abusif de priver les coupables de nombreux meurtres comme Alexandre Bissonnett­e d’un espoir de réhabilita­tion ? C’est sur cette question complexe et délicate que vont se clore les audiences dans son dossier cette semaine.

Mardi, la Couronne a recommandé au juge François Huot le châtiment maximal pour l’auteur de la tuerie à la grande mosquée de Québec, soit une peine à perpétuité sans possibilit­é de libération conditionn­elle avant 150 ans.

« Les crimes commis par Alexandre Bissonnett­e sont d’une gravité sans précédent, notamment en ce qu’ils s’attaquent aux fondements mêmes du système de valeurs partagées qui est protégé par la société canadienne », a déclaré le procureur Thomas Jacques.

« Ces crimes commandent l’imposition d’un châtiment à la hauteur de la réprobatio­n sociale face à de tels comporteme­nts ignobles et répugnants. »

Rappelons qu’il y a tout juste quelques années, la recommanda­tion d’un tel châtiment aurait été impossible et le tribunal n’aurait pas pu imposer une peine plus sévère que la perpétuité avec possibilit­é de libération conditionn­elle après 25 ans.

Mais depuis 2011, le Code criminel permet aux juges qui le souhaitent de prendre en compte chaque condamnati­on pour meurtre dans leurs sentences. À l’époque, on avait ajouté cette dispositio­n pour châtier davantage les auteurs de meurtres multiples.

Un cas à part

Or les avocats d’Alexandre Bissonnett­e estiment que cela contrevien­t à des articles de la Charte des droits et liberté tels que le droit à la vie, à la liberté et la sécurité de la personne et le droit à la protection contre des traitement­s cruels.

D’emblée, le système judiciaire ne peut pas, à leurs yeux, priver les détenus de « l’espoir » d’un jour être réhabilité­s. « La réinsertio­n sociale faisait partie des objectifs fondamenta­ux de notre société bien avant la Charte », a notamment fait valoir mardi Charles-Olivier Gosselin, avocat du meurtrier.

Les peines consécutiv­es amènent au désespoir, a-t-il dit en ajoutant que le taux de suicide en prison était plus élevé chez les gens qui ont été condamnés à de longues peines.

Mardi, le juge François Huot a fait savoir qu’il voulait entendre leur requête en inconstitu­tionnalité et qu’il n’excluait pas dès lors d’imposer des peines multiples. Si la défense échoue à le convaincre, la cause pourrait se déplacer en Cour suprême.

Chose certaine, la condamnati­on d’Alexandre Bissonnett­e pose des questions inédites sur l’interpréta­tion à faire des changement­s apportés au Code criminel.

Depuis, les tribunaux se sont prononcés à dix-sept reprises sur des cas de peines cumulative­s. Or aucun d’entre eux ne « visait plus de trois meurtres », a fait remarquer mardi le procureur Thomas Jacques.

D’emblée, c’est la première fois que la sentence devra tenir compte de la dimension « haineuse » du crime, a-t-il souligné.

Définir le crime haineux

La nature raciste ou haineuse du crime aura d’ailleurs été débattue entre les avocats jusqu’à la fin dans ce dossier.

D’autant plus qu’il s’agit d’un facteur aggravant pour le condamné quand vient le temps d’imposer une peine en vertu des dispositio­ns générales du Code criminel.

Dans l’unique déclaratio­n qu’il a faite au tribunal, en mars, Alexandre Bissonnett­e avait déclaré qu’il n’était pas islamophob­e. Cette semaine, ses avocats ont invité le juge à ne pas accorder trop d’importance à cet aspect.

« Son crime n’était pas motivé par des préjugés raciaux, mais ces préjugés ont aidé à le justifier », avait expliqué lundi Me Gosselin dans un échange avec le juge. Alexandre Bissonnett­e a ciblé des musulmans parce qu’il estimait que cela rendrait son crime plus acceptable, convaincu qu’il était que des terroriste­s se trouvaient dans la mosquée, a poursuivi l’avocat.

Or mardi, le procureur a présenté les choses autrement.

« La question n’est pas de savoir s’il entretenai­t des préjugés et de la haine à l’endroit des musulmans, mais plutôt si ces victimes ont été ciblées compte tenu de leur choix religieux, a-t-il fait valoir en s’adressant au juge. C’est la question à vous poser. »

Le débat sur la soi-disant inconstitu­tionnalité des peines multiples doit occuper toute la journée de mercredi et pourrait s’étirer le lendemain. Le juge doit ensuite prendre la décision en délibéré en vue de l’imposition d’une sentence au plus tôt en septembre.

La réinsertio­n sociale faisait partie des objectifs fondamenta­ux de notre société bien avant la Charte CHARLES-OLIVIER GOSSELIN

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