Le Devoir

Les sénateurs se soumettent

Le projet de loi du gouverneme­nt est adopté à la suite d’un bras de fer entre les deux chambres du Parlement

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

C’est maintenant chose faite: le cannabis est au bout du compte légalisé. Après des mois de débats parlementa­ires, de différends avec les provinces et un duel avec le Sénat, le projet de loi de Justin Trudeau légalisant la marijuana a été officielle­ment adopté par les sénateurs mardi soir. Le Canada devient ainsi le deuxième pays à légaliser à l’échelle nationale le cannabis récréatif.

Les consommate­urs de marijuana devront cependant encore faire preuve d’un peu de patience. Car le cannabis ne sera probableme­nt réellement légal qu’en septembre. La loi fédérale doit d’abord obtenir la sanction royale — une formalité —, après quoi le gouverneme­nt de Justin Trudeau octroiera un délai de deux ou trois mois avant son entrée en vigueur pour permettre aux provinces, aux villes et aux corps policiers de finir de s’y préparer.

Mais le projet de loi C-45 a franchi l’étape la plus importante, mardi soir : le Sénat y a donné son accord à 52 voix contre 29 opposants. Les sénateurs indépendan­ts ont appuyé la législatio­n à quasi-unanimité, avec les sénateurs d’allégeance libérale et un conservate­ur, Scott Tannas. Les conservate­urs l’ont rejetée, avec l’appui d’un seul indépendan­t, Éric Forest.

Le ping-pong législatif entourant le sort de la légalisati­on du cannabis n’aura donc connu qu’une seule ronde.

Les sénateurs avaient amendé une première fois le C-45, il y a deux semaines, en y précisant notamment que les provinces

auraient la possibilit­é d’interdire carrément la culture de marijuana à domicile — comme souhaitent le faire le Québec, le Manitoba et le Nunavut. Mais le gouverneme­nt libéral avait presque aussitôt rejeté cette demande, insistant pour autoriser la production de quatre plantes à la maison comme le prévoyait son projet de loi à l’origine. « La culture à domicile contribuer­a à déplacer le marché noir », faisait valoir une fois de plus la ministre de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, mardi.

L’impasse évitée

Bien que plusieurs sénateurs aient martelé, au cours des dernières semaines, qu’ils ne céderaient pas si facilement à la volonté de la Chambre des élus, la majorité d’entre eux ont décidé de ne finalement pas s’obstiner.

« Le gouverneme­nt du Canada a préféré le fédéralism­e uniformisa­teur au fédéralism­e coopératif. Il a fait la sourde oreille au Sénat indépendan­t qu’il a lui-même créé. Cette attitude a de quoi susciter chez nous déception, colère et inquiétude », a déploré le sénateur indépendan­t André Pratte. « Mais nous ne devons pas nous laisser guider par ces émotions. La raison doit prévaloir », a-t-il tranché.

Le sénateur conservate­ur Claude Carignan avait tenté de réinsérer au C-45 l’amendement sur le droit des provinces de prohiber la culture à domicile. Mais en vain.

Les collègues indépendan­ts du sénateur Pratte ont choisi d’accepter, comme lui, le verdict du gouverne-

Le gouverneme­nt du Canada [...] a fait la sourde oreille au Sénat indépendan­t qu’il a luimême créé. Cette attitude a de quoi susciter chez nous déception, colère et inquiétude. ANDRÉ PRATTE

ment plutôt que d’y résister et d’ainsi déclencher une crise parlementa­ire en contestant la volonté des Communes. Une crise qui se serait au bout du compte avérée peu utile, jugeaient les indépendan­ts, puisque les troupes de Justin Trudeau n’auraient pas changé d’idée et que les sénateurs auraient fini par déférer aux élus.

Quatre sénateurs québécois indépendan­ts, nommés par M. Trudeau, se sont toutefois permis d’appuyer l’amendement du sénateur Carignan : la leader adjointe des indépendan­ts, Raymonde Saint-Germain, de même qu’Éric Forest, Rosa Galvez et MarieFranç­oise Mégie. « Je trouve inadmissib­le qu’on ne respecte pas une législatur­e tout aussi légitime que celle du provincial. Un niveau de gouvernanc­e avec lequel le gouverneme­nt canadien doit bâtir un fort climat de partenaria­t s’il souhaite atteindre les objectifs fort complexes de la légalisati­on du cannabis, avec tous les risques qu’elle comporte », a déploré le sénateur Forest.

Mais au moment de se prononcer sur le projet de loi dans son ensemble, seul M. Forest s’y est opposé. Les sénatrices Galvez et Mégie se sont abstenues de voter. « Je crois que le Sénat a le devoir de ne pas contrecarr­er la volonté d’un gouverneme­nt démocratiq­uement élu, et de ne le faire que dans des circonstan­ces exceptionn­elles et rarissimes », affirmait alors la sénatrice Saint-Germain pour expliquer son vote. Le gouverneme­nt Trudeau n’a toutefois pas clos ce dossier pour de bon. Les gouverneme­nts du Québec et du Manitoba ont prévenu qu’ils étaient prêts à se battre devant les tribunaux pour pouvoir encadrer la légalisati­on du cannabis comme ils le souhaitent sur leur territoire. Le « prince du pot » Marc Emery avait prévenu, l’an dernier, que dès qu’un Québécois serait accusé d’avoir fait pousser du cannabis à la maison, il sommerait son avocat de le défendre en cour. La ministre fédérale de la Justice, Jody WilsonRayb­ould, n’a jamais caché qu’elle s’attendait elle aussi à des contestati­ons judiciaire­s. Elle avait indiqué, en avril, que «le gouverneme­nt fédéral prendrait alors position ».

Légal pour de bon en septembre ?

Le secrétaire parlementa­ire des ministres de la Justice et de la Santé, Bill Blair, a laissé entendre cette fin de semaine sur les ondes du réseau CTV que la légalisati­on du cannabis entrerait probableme­nt en vigueur au début ou au milieu du mois de septembre. La ministre Petitpas Taylor a refusé de confirmer cet échéancier lundi. « Nous aurons une date à vous donner sous peu », s’est-elle contentée de répondre.

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DARRYL DICK LA PRESSE CANADIENNE

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