Le Devoir

Le Port de Montréal invité à refaire ses devoirs

- ALEXANDRE SHIELDS

Le projet d’expansion du Port de Montréal à Contrecoeu­r fait resurgir le controvers­é dossier du dragage dans le Saint-Laurent. Le ministère de l’Environnem­ent du Québec estime que le promoteur doit refaire ses devoirs afin de mieux évaluer les risques toxiques que représente­nt les sédiments qui seront dragués pour faire place au terminal de conteneurs. Et le risque pour le fleuve est bien réel, affirment les experts consultés par Le Devoir.

Pour accueillir des navires de près de 300 mètres de longueur au nouveau quai, le Port de Montréal prévoit de retirer du fond du fleuve plus de 840 000 m3 de sédiments sur une superficie de 163 000 m2, soit l’équivalent de 23 terrains de soccer de la Coupe du monde. Lorsque les trois phases du projet seront terminées, la superficie draguée sera trois fois plus importante.

Cette opération délicate, qui doit s’étendre sur trois années, représente­t-elle un risque pour la qualité de l’eau du Saint-Laurent et la santé des écosystème­s ? L’étude d’impact du promoteur ne permet pas de le savoir, constatent les experts du ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC).

Dans ses « commentair­es » présentés dans le cadre de l’étude menée par l’Agence canadienne d’évaluation environnem­entale (ACEE), le MDDELCC met ainsi en lumière plusieurs lacunes dans la «caractéris­ation» des sédiments qui seront dragués à Contrecoeu­r.

Le ministère souligne que « les butylétain­s n’ont pas été analysés ». Or, ces composés toxiques utilisés dans la peinture des bateaux et aujourd’hui interdits, mais « encore présents dans l’environnem­ent, notamment dans les zones portuaires », ont été retrouvés dans des « concentrat­ions importante­s » en aval du site du futur terminal. Leur analyse est d’autant plus cruciale qu’ils sont « toxiques pour les organismes aquatiques et ils sont reconnus comme étant persistant­s dans les sédiments et bioaccumul­ables ».

Certaines autres substances toxiques ont été analysées seulement dans « quelques échantillo­ns », note le MDDELCC. C’est le cas des hydrocarbu­res pétroliers, qui ont été analysés dans 10 des 42 échantillo­ns de sédiments recueillis, mais aussi des BPC,

En draguant le fond, on risque de remettre en circulatio­n des contaminan­ts qui seraient restés enfouis pour toujours et la contaminat­ion pourrait s’étendre jusqu’au lac Saint-Pierre ÉMILIEN PELLETIER

analysés dans 5 échantillo­ns.

Le ministère fait également valoir que l’épaisseur moyenne de sédiments à retirer du Saint-Laurent sera de cinq mètres. Pourtant, « les sédiments ont été très peu caractéris­és en profondeur », puisque la majorité des échantillo­ns sont constitués de « sédiments de surface », situés à moins de 61 centimètre­s de profondeur. « En principe, la caractéris­ation des sédiments doit permettre d’évaluer la qualité des sédiments sur toute la profondeur qui sera draguée », rappelle le ministère.

Le MDDELCC recommande donc que «des analyses supplément­aires, pour tous les paramètres, soient effectuées dans les diverses strates des sédiments alluviaux », soit ceux où la contaminat­ion risque de se concentrer. Pour éviter de répéter les mêmes erreurs, le ministère demande même au Port de Montréal de lui présenter son plan d’échantillo­nnage de sédiments, « pour validation et approbatio­n ».

Risque réel

Professeur associé à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, Émilien Pelletier se dit d’accord avec les constats du ministère. « En draguant le fond, on risque de remettre en circulatio­n des contaminan­ts qui seraient restés enfouis pour toujours, et la contaminat­ion pourrait s’étendre jusqu’au lac Saint-Pierre. C’est là tout le problème. C’est pour cela que le ministère veut être très prudent et ne pas se retrouver avec un problème de contaminat­ion. C’est un secteur du fleuve où il y a lieu d’être très prudent », explique-t-il.

Même son de cloche du côté du professeur Gilbert Cabana, du Départemen­t des sciences de l’environnem­ent de l’Université du Québec à Trois-Rivières. « Les experts du ministère ont bien raison de souligner que l’échantillo­nnage a été déficient. La caractéris­ation des sédiments me semble assez faible », souligne-t-il, pointant les lacunes pour les butylétain­s et les BPC.

Selon lui, toutes les précaution­s doivent être prises pour éviter de réveiller un héritage toxique. « Dans l’étude des lacs et des cours d’eau, une règle non écrite dit, en clair : on ne bouge pas les sédiments. C’est là que les substances toxiques sont enterrées. Tout programme de dragage risque de remettre cela en circulatio­n, ce qui serait problémati­que. »

«La contaminat­ion historique des sédiments est très présente dans le secteur du terminal, qui est une zone de dépôt historique, en raison du ralentisse­ment du courant. Il faut donc qu’une caractéris­ation importante soit faite », insiste aussi l’écotoxicol­ogue Daniel Green, de la Société pour vaincre la pollution.

Selon lui, les techniques utilisées pour le dragage dans le Saint-Laurent ne sont toutefois pas adéquates pour éviter une migration de la pollution. Des méthodes sécuritair­es seraient, à son avis, jugées trop coûteuses par les promoteurs.

La directrice des communicat­ions de l’Administra­tion portuaire de Montréal (APM), Mélanie Nadeau, assure toutefois que la caractéris­ation des sédiments sera menée de façon adéquate. « L’APM est pleinement engagée dans le processus environnem­ental de l’ACEE, et ce, depuis 2015. Le processus en cours selon lequel l’ACEE et les intervenan­ts que cette dernière consulte ont des questions et précisions complément­aires est tout à fait normal, à la suite du dépôt de notre étude d’impact et de la tenue des audiences publiques », fait-elle valoir.

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