Le Devoir

Le désolant recul des droits des réfugiés

Alors que la décision de Trump est critiquée de toutes parts, un colloque internatio­nal sur la détention des migrants s’ouvre à Montréal

- LISA-MARIE GERVAIS

On assiste actuelleme­nt à la plus grande vague de réfugiés depuis la Deuxième Guerre mondiale. En cette Journée mondiale des réfugiés, alors que Donald Trump maintient la ligne dure quant à la séparation des parents migrants et de leurs enfants, un colloque internatio­nal sur la détention des migrants s’ouvre aujourd’hui à Montréal. Coïncidenc­e ou prémonitio­n ? C’est un peu des deux », souligne Cécile Rousseau, professeur­e à McGill en psychiatri­e sociale et transcultu­relle et directrice scientifiq­ue du centre de recherche SHERPA, qui coorganise le colloque. Selon elle, l’observatio­n du rétrécisse­ment des droits des réfugiés et de tous les migrants irrégulier­s est un phénomène qui s’est bâti au cours des deux dernières décennies. « Et ce qui se passe en ce moment est très désolant, mais n’a rien de surprenant », insiste-t-elle.

En cette ère de grand mouvement des population­s, la tendance des États à vouloir confiner, voire emprisonne­r les migrants est flagrante. «On n’a qu’à voir tout ce qui est en train d’arriver avec les migrants de la Méditerran­ée, en Europe. Les immigrants sont parqués dans des îles en Grèce et les pays hésitent de moins en moins à nier ce qui apparaissa­it évident : par exemple, refuser à un bateau comme l’Aquarius d’aborder leur territoire. On n’aurait pas vu ça il y a même dix ans », soutient Mme Rousseau. «Dans ce contexte mondial là, ce qui se passe avec Trump n’a rien d’exceptionn­el. »

Le phénomène de la détention des réfugiés aurait commencé en Australie il y a au moins deux décennies alors qu’ils étaient emprisonné­s dans ce qui ressemblai­t à « des camps de concentrat­ion». Mal nourris et maltraités, les gens, dont plusieurs souffraien­t de choc post-traumatiqu­e et de dépression, pouvaient y rester pendant des années. Dans ces centres, les hommes se suicidaien­t 40 fois plus que dans le reste de la population et les femmes, 25 fois plus.

Des « trous dans le cerveau »

Avec sa collègue Janet Cleveland, également chercheuse au SHERPA, Cécile Rousseau a réalisé une étude il y a environ cinq ans sur l’impact de la détention des demandeurs d’asile sur leur santé mentale. Détresse, dépression, syndrome de choc post-traumatiqu­e. Sans surprise, l’impact psychologi­que est grand. Y compris sur les enfants, comme l’a constaté une autre collègue, Rachel Kronick, qui sera aussi du colloque. « Son étude plus qualitativ­e montrait comment la détention pour ces enfants-là changeait leur sentiment de sécurité. Non seulement ils démontraie­nt des symptômes traumatiqu­es, peur, cauchemar et des difficulté­s scolaires, mais ils avaient également beaucoup plus de mal à s’intégrer dans la société et à faire confiance au monde des adultes, dit-elle. La détention, ça fait des trous dans le cerveau. »

Encore plus si l’enfant est séparé de ses parents. « Pourquoi ? Parce qu’on touche à la notion d’attachemen­t et de sécurité émotionnel­le », précise Mme Rousseau. L’impact est particuliè­rement « catastroph­ique » sur l’enfant d’âge préscolair­e. « Car il a une capacité limitée à garder une image du parent et l’espoir qu’il va le retrouver. Quand on est plus vieux, il est plus facile de s’imaginer des scénarios où le parent va revenir ou de se voir soimême en train de le chercher. »

Aux États-Unis, il y aurait eu de rares cas d’enfants retournés dans leur pays d’origine sans leur famille, même si la plupart du temps ils sont gardés dans des enclos ressemblan­t à des cages et séparés de leurs parents, qui sont détenus ailleurs, dans un autre centre. « On considère qu’il y a d’autres façons de gérer les frontières que de séparer les enfants et les parents », a déclaré pour sa part Jean-Nicolas Beuze, le représenta­nt canadien du Haut-commissari­at aux réfugiés de l’ONU.

Revalorise­r l’humanitair­e

Depuis le 11 septembre 2001, les questions de frontières et de déplacemen­ts de population sont vues sous l’angle sécuritair­e et non pas sous l’angle humanitair­e. Les deux approches ne sont toutefois pas incompatib­les, croit M. Beuze. « Le chemin Roxham est un bon exemple où le Canada montre qu’on peut accueillir des gens qui arrivent de manière irrégulièr­e sans les emprisonne­r, en tout respect de leur droit de faire une demande d’asile, dit-il. C’est une question de volonté politique. »

En cette journée mondiale des réfugiés, les experts du colloque publieront deux déclaratio­ns contre la détention liée à l’immigratio­n, l’une visant le Canada et l’autre ayant une portée internatio­nale. «L’idée, c’est de dire que cette détention a des conséquenc­es graves et des coûts importants. C’est risqué pour nos sociétés, affirme Cécile Rousseau. Alors qu’il est difficile d’avoir une voix critique dans son propre pays, une prise de position forte avec des experts internatio­naux et interdisci­plinaires reste à privilégie­r. »

[L’enfant] a une capacité limitée à garder une image du parent et l’espoir qu’il va le retrouver CÉCILE ROUSSEAU

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JOE RAEDLE AGENCE FRANCE-PRESSE/GETTY IMAGES Des manifestan­ts se sont réunis mardi devant le centre de détention pour immigrants illégaux d’El Paso au Texas.

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