Une petite fille
Une petite fille. Une petite fille pleurant toutes les larmes de son corps. [...] Une petite fille pleurant toutes les larmes de son corps debout devant sa mère qu’un douanier américain fouille. La petite fille est hondurienne, elle et sa mère ont traversé la frontière américaine illégalement. Elles vont bientôt être séparées, placées dans deux espaces clos. La petite fille pleure toujours toutes les larmes de son corps, elle ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas aller avec sa mère. La mère ne pleure pas, pas encore, après, quand la petite ne la verra plus ; elle lui dit que tout va bien aller. [...] Insupportable. Horrible. Inhumain.
L’Afghanistan. La Palestine. La Syrie, l’Irak… Les camps de réfugiés, les migrants. Les catastrophes environnementales dues aux changements climatiques. Le commerce très lucratif des armes à feu. Les enfants-soldats. L’exploitation outrancière des richesses naturelles. L’exploitation des enfants pour le travail et le sexe. Le racisme. Toutes les violences faites aux femmes. [...] Les droits fondamentaux bafoués. Le terrorisme. La pauvreté organisée en système au service de l’enrichissement d’une minorité. Insupportable. Horrible. Inhumain.
Les États marchent constamment sur les oeufs des enjeux économiques et territoriaux. La diplomatie est larvée depuis longtemps. On parle, on dénonce haut et fort ; on fait très peu ; on maquille beaucoup. Dans un nouvel ordre mondial, une vie importe si tant est qu’elle ne coûte pas cher et rapporte beaucoup, et pour plusieurs, si elle demeure dans son lieu d’origine. Insupportable. Horrible. Inhumain.
Mes vendredis sont consacrés à ma petite-fille. Vendredi dernier, j’ai commencé la journée avec la photo de la petite fille pleurant toutes les larmes de son corps et toute la journée, la petite fille de la photo s’est amalgamée à ma petitefille. Deux petites filles, pleines de vie, pratiquement du même âge, assurément tendrement aimées. Une petite fille qui pleure toutes les larmes de son corps ; une petite fille qui rit à gorge déployée. Insupportable. Mon point de rupture.
Je n’ai aucune espèce de pouvoir à moi seule. Je n’ai que mes mots. Je veux encore pouvoir espérer. Je veux que toutes les petites filles, partout, puissent aussi espérer. Je sais qu’il y a d’autres voix… Nous avons, plus que jamais, le devoir de les additionner. Marie-Hélène Méthé Montréal, le 18 juin 2018