Le Devoir

L’inaction désastreus­e du ministre de l’Éducation

- LUC PAPINEAU ENSEIGNANT DE FRANÇAIS

Les frais exigés aux parents sont un dossier qui remonte à 2010 et que l’actuel ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a laissé traîner depuis qu’il a été nommé à ce poste il y a deux ans, de peur de devoir se prononcer quant à la gratuité scolaire. Bien sûr, il a eu l’excuse facile de dire que cette question était devant les tribunaux et qu’il fallait laisser la justice suivre son cours. Bien sûr, il a appelé les commission­s scolaires et les parents plaignants à en venir à une entente. Mais voilà : maintenant cette entente survenue, il se réfugie derrière celle-ci sans manifestem­ent trop comprendre ses impacts et promet une vague consultati­on sur la gratuité scolaire en 2019… s’il est réélu.

En deux ans, donc, le ministre, qui a pourtant écrit à titre personnel un livre sur sa vision de l’éducation, n’a pas réussi à élaborer quelque scénario que ce soit quant à cette question. C’est un peu comme s’il était encore à la case départ dans ce dossier. Dans les faits, on peut surtout penser que M. Proulx a décidé de reléguer cette question électorale­ment délicate aux oubliettes de l’été et, pour la prochaine année, ce sont les écoles, les commission­s scolaires et son éventuel successeur qui devront gérer les résultats de son inaction. Et quels résultats !

Pour la prochaine année scolaire, il faut savoir que les choix d’école par les parents sont déjà faits. Les élèves sont déjà admis dans des programmes particulie­rs. Les choix de cours des élèves sont depuis longtemps faits. Les tâches des enseignant­s sont déjà effectuées. Dans la plupart des écoles, les frais exigés aux parents ont déjà été adoptés par les conseils d’établissem­ent. Mais n’empêche : le ministre ne semble pas être au fait de cette réalité.

Si l’on comprend bien la directive du ministre, l’école ne peut plus exiger de frais d’inscriptio­n pour les programmes particulie­rs. Par exemple, dans les programmes d’éducation intermédia­ire (PEI), on retrouve des frais pour que l’enfant puisse obtenir sa certificat­ion de l’OBI (organisati­on du bac internatio­nal) et de la SEBIQ (Société des écoles du monde du BI du Québec et de la francophon­ie). Qui paiera dorénavant ces frais? De même, qu’arrivera-t-il si l’école offre un programme particulie­r avec l’achat d’un portable ? Ce programme particulie­r (non obligatoir­e) peut-il encore exiger des frais d’inscriptio­n et d’achat pour cet appareil électroniq­ue ? Sinon, qui les paiera ?

Programmes particulie­rs

De façon plus générale, le ministre est-il conscient qu’une telle directive fragilise bien des programmes particulie­rs qui permettent à l’école publique d’offrir des environnem­ents pédagogiqu­es stimulants à des enfants dont les parents n’ont pas nécessaire­ment les moyens de les envoyer à l’école privée ? On dirait bien que non. Dans la même veine, le ministre a indiqué que « les sorties et les activités éducatives organisées en applicatio­n du régime pédagogiqu­e et du calendrier scolaires [sont] gratuites», mais pas les « activités parascolai­res » ou les « sorties culturelle­s » facultativ­es. Ainsi, dans le cadre d’un cours de français, un enseignant qui veut amener ses élèves au théâtre ne pourra plus demander aux parents de payer pour cette sortie culturelle s’ils y vont de jour et s’il demande un travail d’analyse à leur enfant. Qui paiera alors ? Si cette sortie devient facultativ­e le soir et qu’il ne demande plus de travail, les élèves pourront-ils y aller ?

Est-ce la même chose pour les cours optionnels? Par exemple, pourra-t-on encore exiger des frais à des parents qui inscrivent leur enfant à un cours de théâtre afin d’aller voir des pièces en salle? Même chose pour le cours optionnel en art où l’enseignant voudrait amener ses élèves voir une exposition dans un musée ?

À toutes ces questions, le ministre explique que, dans le cadre de sa nouvelle politique culturelle, son gouverneme­nt a ajouté 7 millions au trois déjà prévus pour ce qui est des sorties culturelle­s au budget du ministère de la Culture. Cet ajout ne sera jamais suffisant. Déjà, certaines écoles facturaien­t 30 $ pour une sortie au théâtre aux parents AVEC le budget existant de 3 millions. Et comment sera attribuée cette somme ? Par école ? Par élève ? Aux premiers arrivés ?

Si tel est le cas, le ministre réalise-t-il que peu de sorties scolaires auront lieu et que des entreprise­s culturelle­s verront le nombre de leurs spectateur­s ou de visiteurs baisser de façon significat­ive, ce qui pourrait mettre en péril leur existence même ? Déjà, bien des commission­s scolaires et des écoles ont décidé de ne planifier aucune sortie de ce type l’année prochaine.

Comme enseignant depuis 25 ans, je n’ai jamais vécu une improvisat­ion semblable et j’espère que le ministre Proulx réalisera rapidement la situation dans laquelle est plongé le réseau scolaire qu’il dirige.

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