Le Devoir

Au diable l’ALENA ?

- MICHEL LECLERC

Depuis que monsieur Trump occupe la présidence des États-Unis, le monde vit en alerte du dernier tweet qui ici mettra fin à l’ALENA, qui là multiplier­a les droits compensato­ires au nom de la sécurité nationale. Les traités ou les convention­s signés par les États-Unis et les institutio­ns internatio­nales qui en découlent n’ont aucune valeur à ses yeux même si celles-ci, comme l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), précédée par le GATT, découlent des accords de Bretton Woods archideman­dés, sinon exigés par les États-Unis à l’époque. Il faut croire qu’il veut, comme l’a si bien dit le gouverneur de l’Ohio, « an America first and… alone ».

Devant les constantes parades du paon américain, toujours en élection, le Canada tente de s’accrocher à un traité tripartite que notre voisin du Sud voudrait transforme­r en traités bilatéraux pour mieux écraser chacun de ses « partenaire­s ».

Il est maintenant le temps de s’interroger à savoir si cette galère est encore intéressan­te. Quand le premier ministre Mulroney et le président Reagan ont convenu en 1987 de signer un traité de libre-échange entre leurs pays respectifs, les États-Unis étaient notre premier partenaire économique et le nombre de traités de libre-échange pour le Canada était plutôt limité à l’époque. En effet, la Communauté européenne était en expansion et ne pensait qu’à ses problèmes ; les pays d’Asie, particuliè­rement la Chine et l’Inde, étaient encore dans le club des sousdévelo­ppés. La consolidat­ion du pacte de l’automobile et l’ouverture de plus en plus grande de nos entreprise­s vers l’exportatio­n trouvaient dans l’ALENA une continuité toute naturelle.

Cependant, le Canada s’est installé dans la facilité ; la très grande majorité de nos exportatio­ns se dirige toujours vers un seul pays (75%, contre 20% pour les É.-U. en direction du Canada). Nous nous sommes installés à la merci de notre voisin du Sud. Pourtant, les signaux protection­nistes se sont souvent manifestés dans le passé ; pensons entre autres aux droits compensato­ires à répétition sur le bois d’oeuvre depuis 25 ans. On gagnait toujours en cour, mais on payait quand même des redevances. Et voilà que Donald Trump est venu épaissir la couche.

Pourtant, les conditions ont changé depuis 1987. Nous avons signé un accord avec l’Europe (idée lancée par Jean Charest ; tout n’a pas été négatif dans sa gouvernanc­e), un marché de 500 millions. Nous sommes engagés dans le Partenaria­t transpacif­ique, un autre marché d’environ 500 millions ; pas tous des pays riches, il faut le reconnaîtr­e, mais plusieurs en émergence. Les États-Unis s’en sont retirés, pensant sans doute que le Partenaria­t s’effondrera­it sans eux. Deux marchés peut-être loin de chez nous mais probableme­nt prometteur­s, et surtout des marchés qui semblent avoir des comporteme­nts plus, comment dire, civilisés que ceux de notre voisin du Sud.

Mettre fin à l’ALENA n’est certes pas souhaitabl­e ; notre PIB s’en ressentira­it sans doute pendant quelques années. Détricoter le marché nord-américain de l’automobile ne sera pas une mince affaire. Je crains cependant que cette hypothèse doive sérieuseme­nt être envisagée, car l’homme aux commandes de la Maison-Blanche (qu’on aurait déjà brûlée, selon lui !) a une base électorale qui lui est dévouée et à qui il faut maintenant dire que le Canada n’est plus l’allié indéfectib­le.

Sinon, le Canada sera le grand perdant dans cette histoire et c’est ce que Donald Trump et les 42 % qui l’approuvent souhaitent. Imaginons à qui on a affaire: «Dieu doit être heureux de l’avoir créé» lui, Donald Trump. Un peu plus, il s’agit du plus récent envoyé de Dieu. Moi, je préfère faire affaire avec les humains.

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