Le Devoir

Autochtone­s : l’an 1 d’un plan triennal à l’ONF |

L’agence culturelle fédérale revisite son histoire en fonction des critères d’aujourd’hui

- CATHERINE LALONDE

«On ne veut pas camoufler nos erreurs, ni passées, ni présentes si on en fait. On fait un apprentiss­age pour comprendre les perspectiv­es autochtone­s — car il y a au pays des perspectiv­es, pas une seule — et c’est un apprentiss­age de nuances», indique le président de l’Office national du film du Canada (ONF), Claude Joli-Coeur, faisant le bilan de l’an 1 du plan triennal dont l’organisme s’est doté pour redéfinir ses relations avec les peuples autochtone­s. Avant de créer le nouveau portail « Cinéma autochtone » ou d’augmenter le nombre de ces production­s, l’ONF s’est livré à un examen de conscience en revisitant son histoire au crible des critères d’aujourd’hui. Un exercice nécessaire, croit le président. Et encore extrêmemen­t rare.

Ce sont plusieurs changement­s que l’ONF a entamés en une seule année, afin de répondre aux 33 engagement­s de son plan d’action établi il y a un an. Parmi ceux-ci, notons les 10 % des dépenses globales de production dirigées vers 35 projets réalisés par des artistes autochtone­s. « Avant, l’engagement de nos producteur­s envers les autochtone­s était inégal à travers le pays», précise M. Joli-Coeur. « Là, toute l’organisati­on l’a adopté.» Près de 900 projection­s communauta­ires ont eu lieu lors de la tournée de cinéma autochtone Aabiziingw­ashi (Bien éveillés).

Aussi, le nouveau portail propose plus de 200 films de cinéastes autochtone­s, filmés à travers le temps. Il a exigé un exercice de classifica­tion loin d’être anodin. « On a dans notre catalogue beaucoup de films sur les autochtone­s. Dans ça, des films réalisés par des cinéastes non autochtone­s; certains tournés avec la perspectiv­e des Blancs de l’époque, prônant parfois presque l’éradicatio­n », indique le président, comme Les Indiens du Canada (Grant McLean, 1955). « Puis des films de Blancs qui s’assimilaie­nt à la culture autochtone », tel Nous n’étions que des enfants, de la productric­e Ojibwé Lisa Meeches et d’un réalisateu­r allochtone (Tim Wolochatiu­k, 2012). « Enfin, détaille M. Joli-Coeur, il y a eu les films réalisés par des autochtone­s. » Kanehsatak­e – 270 ans de résistance (1993), de la cinéaste, pionnière et militante Alanis Obomsawin, en serait un brillant exemple.

La première, 30 ans plus tard, de la traduction en mohawk de ce film sera d’ailleurs présentée le jeudi 21 juin à l’école Rotiwennak­ehte. « On n’a pas enlevé les films des Blancs de notre catalogue. Mais on a réuni ceux des autochtone­s et on les a classés selon les normes adoptées par leurs peuples. »

Dans le miroir

Pour arriver à ce genre de délicatess­e, l’ONF s’est livré en 2017, en amont de son plan, à un exercice passé pratiqueme­nt inaperçu. Dans Le cinéma autochtone à l’ONF : un aperçu, l’organisme repasse son histoire et analyse ses propres production­s. Un examen de minuit qui note avec franchise les bons coups — ceux qui ont résisté au passage de quelques décennies — et les autres.

De sa période 1939-1967, l’ONF rappelle que 55 films alors produits «montrent des sujets autochtone­s, sans jamais les laisser raconter leurs propres histoires ». Au début des années 1950, le documentai­re How to Build an Igloo (Douglas Wilkinson, 1949), encore populaire aujourd’hui, présentait par exemple « la vie inuite sous un jour faussement romantique et historique» et donnait «l’image d’un peuple figé dans le temps ».

L’exercice étonne par son autocritiq­ue et sa transparen­ce, rares. « On est une organisati­on de services publics : on n’a pas droit à l’embellisse­ment de la réalité», estime Claude Joli-Coeur. L’ONF, fondé en 1939, a beau avoir évolué, « on n’a pas fait les choses toujours nécessaire­ment de la façon dont on voudrait les faire aujourd’hui. Ce mea-culpa-là faisait partie du processus de réconcilia­tion et de prise de conscience. » Aujourd’hui, faire mieux les choses pour l’ONF, c’est les penser avec un comitécons­eil de huit membres de divers horizons et strates autochtone­s — essentiell­ement des femmes —, dont « la balise fondamenta­le qu’est Alanis Obomsawin », à l’ONF depuis 1967.

Le président nomme quelques bémols à cette première année de transition. « Dans nos formations données pour l’ensemble de nos employés, on a été trop ambitieux. Ce n’est pas en une journée qu’on devient “fluide” en culture autochtone ; ça va se faire à plus long terme. Et reste qu’on est une organisati­on blanche qui produit des films avec des autochtone­s. On a commencé à faire des formations pour les équipes de production avant d’aller tourner dans une communauté. Quand l’équipe arrive avec des balises, ça évite les faux pas non intentionn­els qui peuvent froisser. »

Droit à l’image

En recrutemen­t, la cible d’atteindre l’équité représenta­tionnelle de la population brute plutôt qu’active dans le personnel d’ici 2025 est ambitieuse. « On cherche à former un pool de talents, à atteindre ceux qui n’aurait pas l’idée de prime abord de venir travailler avec nous, à penser à comment on les accueille et à comment on travaille la rétention, à comment on peut être une pépinière de talents », renchérit le président.

Le gros du travail reste à faire dans les archives. « Je voudrais, quand l’ONF a tourné des films dans des conditions pas idéales ou même irrespectu­euses, qu’on trouve une façon de retourner aux communauté­s le matériel de base pour qu’elles puissent décider de se le réappropri­er ». Comme dans Circle of the Sun (Colin Low, 1960) qui inclut des images d’une cérémonie religieuse qui n’aurait pas dû être publique. En respectant le droit de l’artiste et du réalisateu­r, comment aussi « retourner ces images dans les communauté­s ? Et comment contextual­iser ces films ? Il ne faut pas réécrire l’histoire, mais il faut aujourd’hui des mises en contexte. »

On est une organisati­on de services publics : on n’a pas droit à l’embellisse­ment de la réalité CLAUDE JOLI-COEUR

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ALETHEA ARNAQUQ-BARIL Le long métrage documentai­re Inuk en colère compte parmi les films mis en vedette dans le portail « Cinéma autochtone » de l’ONF.
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PEDRO RUIZ LE DEVOIR La cinéaste Alanis Obomsawin oeuvre à l’ONF depuis 1967.
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Claude Joli-Coeur

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