Le Devoir

L’avocat de Bissonnett­e joue son va-tout

« La peine de détention est acceptable parce qu’elle a un sens », plaide Me Charles-Olivier Gosselin

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC LE DEVOIR

Sans espoir et sans possibilit­é de réhabilita­tion, l’emprisonne­ment perd en partie son sens, a plaidé l’avocat d’Alexandre Bissonnett­e mercredi dans son long exposé devant le juge.

« La peine de détention est acceptable parce qu’elle a un sens », a plaidé Me Charles-Olivier Gosselin. « Si on lui enlève le sens, elle est aussi arbitraire que la torture, les châtiments corporels ou la peine capitale. »

Même si on ne parle pas de « droit à l’espoir » dans nos lois, il est directemen­t lié à l’idée réhabilita­tion qui figure parmi les objectifs de l’emprisonne­ment dans le Code criminel, a-t-il expliqué.

« Si […] on ne lui donne aucun espoir de pouvoir se réhabilite­r, d’avoir un but — comme sortir de prison —, ça peut être assez hypocrite de penser que cette personne-là va travailler sur elle alors qu’on ne lui donne absolument rien en retour. »

Dès lors, la possibilit­é d’une réhabilita­tion est un critère pour déterminer « si c’est une peine exagérémen­t disproport­ionnée », a-t-il dit.

Le 29 janvier 2017, Alexandre Bissonnett­e a ouvert le feu dans le Centre culturel islamique de Québec, arrachant la vie à six fidèles et bouleversa­nt celle de dizaines d’autres.

Si le juge François Huot décide qu’il doit attendre plus de 25 ans avant d’avoir droit à une libération conditionn­elle, il lui faudra procéder par multiples de 25. L’emprisonne­ment minimal serait donc de 50, 75, voire 150 ans, comme le réclame la Couronne.

Cela voudrait dire que l’homme actuelleme­nt âgé de 28 ans, quel que soit son comporteme­nt en prison, n’aurait pas la possibilit­é d’en sortir avant l’âge de 78 ans.

Étant donné que l’espérance de vie des hommes est de 76 ans, Me Gosselin estime que c’est abusif, voire cruel.

Au-delà du cas de M. Bissonnett­e, il a fait valoir que c’est inconstitu­tionnel et que cela brime des droits garantis par la Charte des droits, dont l’article 12, qui garantit « la protection contre les traitement­s ou peines cruels et inhabituel­s ».

Or, ce droit à l’espoir peut-il être garanti pour tous ? Le juge a semblé en douter lors d’un échange avec l’avocat.

« On fait quoi d’un individu de 74 ans coupable d’un meurtre au premier degré, un seul ? On pourrait arguer qu’il y a violation de l’article 12 parce qu’il perd tout espoir ? » a-t-il demandé.

Où mettre la limite d’âge ?

Après un certain temps, l’avocat a fini par répondre que le châtiment était « bien plus grand » pour un jeune que pour un homme au crépuscule de sa vie.

Où mettre la limite d’âge dans ce contexte ? Le juge a semblé perplexe. « Je veux m’assurer que vous comprenez bien l’ampleur de ce que vous me demandez ce matin », a-t-il dit avant d’évoquer « l’impact » que pourrait avoir la requête en inconstitu­tionnalité de l’avocat.

Plus tôt dans son exposé, Me Gosselin avait fait valoir que la décision de permettre des peines de prison sans possibilit­é de réhabilita­tion avant 50 ans et plus découlait d’un certain « populisme pénal ».

Le gouverneme­nt de Stephen Harper ne s’est «manifestem­ent appuyé sur rien » en prétendant que cette façon de faire allait pouvoir empêcher la multiplica­tion des tueries de masse au Canada, a-t-il avancé.

Ottawa a alors adopté une approche « à l’américaine », mais la réalité canadienne est tout autre, selon l’avocat de la défense. « Le taux d’homicide est au plus bas depuis l’abolition de la peine de mort [en 1976]. »

« Le système avant 2011 fonctionna­it et la libération conditionn­elle fonctionne. C’est un système qui a fait ses preuves, qui a été reconnu à maintes reprises par la Cour suprême », a soutenu l’avocat.

« Les statistiqu­es prouvent que même les meurtriers multiples sont réhabilita­bles parce que leur taux de récidive est bas. »

Les audiences dans le dossier d’Alexandre Bissonnett­e doivent prendre fin ce jeudi avec la réplique du Procureur général à Me Gosselin. On sait déjà qu’il va plaider que ces règles sont tout à fait constituti­onnelles. Il faudra ensuite attendre au moins jusqu’en septembre avant que le juge Huot rende sa sentence.

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MATHIEU BÉLANGER LA PRESSE CANADIENNE Alexandre Bissonnett­e

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