Le Devoir

La bilinguisa­tion rampante

- MICHEL DAVID

Depuis que le gouverneme­nt Charest a autorisé le cégep Saint-Laurent et son voisin anglophone, le collège Vanier, à mettre leurs ressources en commun pour offrir des programmes bilingues, comme il en existait déjà dans plusieurs établissem­ents privés, cette pratique n’a cessé de s’étendre. Le phénomène ne se limite pas à Montréal, où on peut toujours faire valoir qu’il vaut mieux voir les allophones poursuivre leurs études dans les deux langues plutôt que de les voir le faire uniquement en anglais, mais également à Québec, dont la proportion d’anglophone­s est d’à peine 1 % et où le problème d’intégratio­n des immigrants ne se pose pas.

Dans un texte paru d’abord dans L’Action nationale et republié mardi dans Le Devoir, un professeur de français au collège Bois-de-Boulogne, Nicolas Bourdon, déplorait que les cégeps ne soient soumis à aucune norme nationale en matière de langue d’enseigneme­nt et qu’ils se prévalent de leur autonomie pour s’arracher les étudiants en rivalisant de bilinguism­e.

Le débat sur l’autonomie des cégeps n’est pas nouveau. En 2004, bien avant que se pose la question de la langue, une coalition formée de syndicats d’enseignant­s, d’associatio­ns de parents et de la Fédération étudiante collégiale (FECQ) s’était déjà opposée à une décentrali­sation qui risquait de transforme­r les divers établissem­ents du réseau collégial « en petits ghettos repliés sur eux-mêmes » sans perspectiv­e globale.

Il est sans doute regrettabl­e de voir les cégeps profiter de leur marge de manoeuvre pour se lancer dans la « course à l’anglicisat­ion » que dénonce M. Bourdon, mais cette dérive n’est possible qu’avec l’aval du gouverneme­nt, qui n’impose pas non plus de limite à la croissance des cégeps anglais, dont la majorité des étudiants ne sont pas des anglophone­s, alors que la clientèle des cégeps français ne cesse de diminuer.

Personne ne se surprendra qu’un gouverneme­nt libéral autorise, voire encourage, la création de diplômes d’études collégiale­s (DEC) bilingues. Durant son bref mandat, le gouverneme­nt de Pauline Marois n’avait cependant rien fait pour l’empêcher.

Il est vrai que le programme du PQ prévoyait à l’époque d’étendre les dispositio­ns de la loi 101 au cégep, ce qui aurait réglé la question. On ne saura jamais si Mme Marois aurait osé le faire si elle avait disposé d’une majorité à l’Assemblée nationale.

D’entrée de jeu, Jean-François Lisée a estimé que le coût politique d’une telle mesure serait trop élevé. Plutôt que d’interdire aux francophon­es et aux allophones l’accès au cégep anglais, le nouveau programme du PQ propose plutôt d’augmenter l’enseigneme­nt de l’anglais dans les cégeps français, autrement dit de les rendre moins français, dans l’espoir que cela les satisfasse. Les DEC bilingues procèdent du même esprit.

Il ne faut pas compter sur un gouverneme­nt Legault pour y faire obstacle. Son « nouveau projet pour les nationalis­tes du Québec » propose bien d’accroître l’utilisatio­n du français sur le marché du travail, mais la CAQ estime néanmoins que les DEC bilingues répondent aux besoins des entreprise­s. Il est vrai qu’elle n’est pas à une contradict­ion près. La société québécoise non plus.

À partir du moment où les directions d’établissem­ent et le gouverneme­nt s’entendent pour favoriser la bilinguisa­tion des cégeps, l’opposition ne peut venir que de la société civile, dont il ne faut jamais sous-estimer le poids.

Il y a un an, Le Devoir avait révélé que le cégep Bois-de-Boulogne et le collège Dawson s’étaient entendus en catimini pour offrir conjointem­ent un DEC bilingue en sciences de la nature. De nombreux enseignant­s et parents d’étudiants, furieux d’avoir été tenus dans l’ignorance de ce projet, ont manifesté leur mécontente­ment et forcé son abandon.

Il est évident que la mondialisa­tion et la généralisa­tion de l’utilisatio­n de l’anglais qui en résulte posent un défi pour de nombreuses langues sur la planète.

La plupart d’entre elles peuvent toutefois compter sur la protection d’un État qui dispose des pouvoirs nécessaire­s. Voisin immédiat du géant américain, le Québec doit composer au surplus avec le bilinguism­e dont le gouverneme­nt fédéral se fait l’ardent promoteur.

Dans l’esprit de ses concepteur­s, la Charte de la langue française était simplement le prélude à la souveraine­té, qui allait conférer à l’État québécois le poids qui assurerait la pérennité du français. De toute évidence, ce n’est pas pour demain.

À d’autres périodes de son histoire, la société québécoise a su trouver en elle-même les ressources pour faire face à l’adversité dans des conditions très difficiles, sans que ses gouvernant­s soient nécessaire­ment à la hauteur. Le défi demeure le même. La question est de savoir si on veut toujours le relever.

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