Le Devoir

Pourquoi les Nations unies ne quitteraie­nt-elles pas les États-Unis ?

- ALAIN VALLIÈRES CHERCHEUR AU CERIUM, CHARGÉ DE COURS À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Le 30 octobre 1943, les ministres des Affaires étrangères des quatre grandes puissances engagées dans la Deuxième Guerre mondiale adoptent une déclaratio­n dans laquelle ils reconnaiss­aient la nécessité d’établir, en vue de la paix et de la sécurité internatio­nales, une organisati­on internatio­nale fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous les États pacifiques. Cette déclaratio­n était le prélude à la création des Nations unies. L’étude de la création de l’organisati­on universell­e permet de constater l’importance de l’engagement du président américain de l’époque. Le nom même «Nations unies» a été choisi en référence à l’action du président Roosevelt.

Or, la position de l’actuel président semble consister à défaire l’oeuvre de ses prédécesse­urs. Dans un discours prononcé devant l’Assemblée des Nations unies le 19 septembre 2017, celui-ci a menacé de «détruire totalement» un pays membre de l’organisati­on. Doit-on comprendre que l’acte d’agression qu’il annonçait comprenait également la destructio­n totale des 25 millions d’habitants du pays en même temps que les installati­ons militaires et les infrastruc­tures ? À l’acte d’agression, au crime de guerre, au crime contre l’humanité, le président entendait-il ajouter le génocide? La situation a depuis lors bien changé puisque le dirigeant de la Corée du Nord est devenu un ami.

S’il est interdit par le droit internatio­nal de tenir semblable discours en général, que penser de ce langage guerrier utilisé dans l’enceinte de l’organisati­on chargée d’assurer la paix sur la planète? On ne peut accepter qu’un chef d’État soit grossier à l’égard d’un autre chef d’État et on ne peut certaineme­nt pas accepter qu’un responsabl­e menace de détruire un pays là où normalemen­t on devrait parler de coopératio­n pour assurer le bien-être de la population mondiale.

Lors du même discours, le président Trump a également dénoncé une entente conclue avec l’Iran et plusieurs grandes puissances pour encadrer le programme nucléaire de ce pays et s’assurer qu’il ne serve pas à le doter de l’arme atomique. Le président a toutefois utilisé un langage peu diplomatiq­ue pour qualifier sa perception de la société iranienne : « Nous ne pouvons pas laisser un régime meurtrier continuer ses activités déstabilis­atrices […] et nous ne pouvons pas respecter un accord s’il sert à couvrir l’éventuelle mise en place d’un programme nucléaire. » Ici encore, la position américaine pose problème en matière de droit internatio­nal. Les États sont tenus de respecter leurs engagement­s avec bonne foi. Or, la posture de M. Trump est plus dogmatique que scientifiq­ue, les experts s’entendant généraleme­nt pour admettre que cet accord a positiveme­nt stabilisé la situation du pays.

Opinion peu favorable

C’est un secret de polichinel­le que le président des États-Unis n’entretient pas une opinion favorable à l’égard de l’Organisati­on. Avant d’être élu, Donald Trump a qualifié l’ONU de « club où les gens se réunissent, parlent et passent du bon temps ». Rapidement après son accession au pouvoir, le gouverneme­nt Trump a voulu réduire, voire supprimer la contributi­on financière des ÉtatsUnis à plusieurs agences des Nations unies et organisati­ons internatio­nales.

Les décisions du président reposent principale­ment sur sa vision du monde. La dernière manifestat­ion en est le re- trait des États-Unis le 19 juin du Conseil des droits de l’homme du fait que ce dernier critiquera­it trop sévèrement les abus d’Israël. Notons que le Conseil ne juge pas lui-même le comporteme­nt des États. Ce sont les États membres du Conseil qui évaluent les membres de l’Organisati­on. Ce retrait n’est pas en soi une catastroph­e, toutefois, il discrédite le Conseil, voire l’ONU elle-même. Ce qui serait toutefois inacceptab­le serait que les États-Unis refusent de se présenter devant ce conseil lorsqu’il étudie la situation des droits de la personne dans ce pays.

Pourtant, paradoxale­ment, les ÉtatsUnis sont également le pays bénéfician­t le plus généreusem­ent des activités onusiennes puisque le siège de l’Organisati­on se trouve à New York. Les fonctionna­ires internatio­naux qui y habitent et les experts qui se déplacent dans cette ville apportent beaucoup à l’économie américaine. Une solution devrait satisfaire le président américain tout en protégeant l’Organisati­on. Nous proposons de déménager le siège de l’ONU à Montréal !

Le comporteme­nt actuel du pays hôte de l’Organisati­on des Nations unies est en contravent­ion directe avec ses buts et objectifs. Maintenir le siège de l’ONU dans ce pays est de nature à discrédite­r toute l’organisati­on et à complexifi­er ses actions futures, voire à mettre en danger les agents en mission. On ne peut que souhaiter le déménageme­nt de l’Organisati­on. Et pourquoi pas à Montréal ? Le Canada est généraleme­nt perçu comme un acteur important dans la protection des droits de la personne. Son engagement auprès des Casques bleus est légendaire. Il nous semble préférable de faire siéger l’ONU dans un pays perçu comme un appui important des soldats de la paix plutôt que dans un pays qui n’hésite pas à utiliser unilatéral­ement les armes.

D’aucuns pourraient considérer que l’opération est économique­ment intenable. Pourtant, il n’en coûterait certaineme­nt pas plus de construire à Montréal une tour que de rénover l’ancienne à New York. La seule vente du terrain new-yorkais paiera sans doute largement les frais. Par ailleurs, il y a fort à parier que Montréal aiderait l’institutio­n à acquérir un terrain. Ne serait-ce pas prestigieu­x que d’y avoir une « tour de la Paix » ? Quoi qu’il en soit, l’ONU n’a pas sa place aux États-Unis.

Le comporteme­nt actuel du pays hôte de l’ONU est en contravent­ion directe avec ses buts et objectifs

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BRENDAN SMIALOWSKI AGENCE FRANCE-PRESSE Le président des États-Unis, Donald Trump, lors d’un discours devant l’Assemblée des Nations unies, le 19 septembre 2017

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