Le Devoir

Une fenêtre de négociatio­n entrebâill­ée pour la Catalogne

- CHRISTIAN HOARAU PROFESSEUR AU CNAM (CONSERVATO­IRE NATIONAL DES ARTS ET MÉTIERS), PARIS

Mariano Rajoy a été renversé par une motion de censure portée par Pedro Sanchez et votée par une coalition hétéroclit­e regroupant le PSOE, Podemos et les partis nationalis­tes catalans et basques. Le gouverneme­nt constitué par le leader socialiste a suscité plus d’éloges que ses prédécesse­urs. L’inconvénie­nt est son faible soutien au Cortes (84 députés du PSOE) pour lutter contre l’opposition du Parti populaire et de Ciudadanos.

Avec l’arrivée de Pedro Sanchez à la Moncloa s’ouvre une fenêtre d’opportunit­é pour normaliser les relations avec la Catalogne, mais en réalité les options des uns et des autres sont limitées.

Ce gouverneme­nt majoritair­ement féminin et libéral est « espagnolis­te » avec la nomination du flamboyant Catalan Josep Borell comme ministre des Affaires étrangères. Cette nomination a été critiquée par les indépendan­tistes. Anti-indépendan­tiste, il est connu pour ses excès de langage : en octobre dernier, il déclarait ainsi qu’il fallait « désinfecte­r la Catalogne » et, plus récemment, que «la Catalogne est au bord de la guerre civile ».

Si une des missions du nouveau ministre des Affaires étrangères consiste à contrer, au niveau internatio­nal, le récit indépendan­tiste, il sera contraint à l’avenir de nuancer ces propos. D’autant que Pedro Sanchez souhaite abaisser la tension dans les relations avec la Catalogne.

La Catalogne est le principal dossier du nouveau gouverneme­nt. Il lui a consacré son premier Conseil des ministres, lequel a adopté la suppressio­n de la supervisio­n financière de la Generalita­t. Par ailleurs, Sanchez doit recevoir le président de la Generalita­t, ce qu’avait refusé de faire Rajoy.

Le PSOE a soutenu sans faille la mise en oeuvre de l’article 155 de la Constituti­on qui a permis à Rajoy de mettre sous tutelle la Catalogne. Celleci a été levée juste avant le vote de la motion de censure. Pedro Sanchez souhaite engager un dialogue avec les indépendan­tistes, mais dans le cadre strict de la légalité et de la Constituti­on espagnoles.

La ministre des Affaires territoria­les, la Catalane Meritxell Batet, a déclaré que la réforme de la Constituti­on était « urgente, viable et souhaitabl­e ». Si la révision de la Carta Magna est souhaitabl­e, elle n’est pas viable à court terme sans l’accord du Parti populaire qui dispose de la majorité absolue au Sénat. En fait, Meritxell Batet a insisté sur une position officielle du PSOE.

De façon symétrique, le président de la Generalita­t, le sulfureux Quim Torra, nationalis­te radical et suprémacis­te, a rappelé de son côté que le point de départ de toute négociatio­n était le référendum du 1er octobre et la déclaratio­n d’indépendan­ce unilatéral­e du 27 octobre dernier. Mais quelle est son autorité réelle dans le camp indépendan­tiste et a-t-il la capacité de s’autonomise­r de Carlos Puigdemont, qu’il considère toujours comme le président légitime de la Generalita­t ? Les indépendan­tistes continuero­nt-ils de « jouer au poker et de bluffer », comme l’a déclaré Clara Ponsati, l’ancienne «consellera» de l’Enseigneme­nt, à propos du précédent gouverneme­nt de la Generalita­t ?

Au-delà des postures, les positions des uns et des autres peuvent-elles vraiment évoluer ?

Normalisat­ion possible

La normalisat­ion est possible pour plusieurs raisons.

Quim Torra, en renonçant à nommer des ministres emprisonné­s, s’est incliné face à la force de la légalité et du pouvoir de l’État espagnol. À court terme, il peut être enclin à respecter ce cadre, d’autant que la supervisio­n des dépenses de la Generalita­t a été levée par Pedro Sanchez.

Celui-ci a, de son côté, besoin d’abaisser la tension et de négocier un geste mutuel et des sujets concrets afin d’orienter le sens de la crise catalane avant les prochaines élections. Il s’agit de réduire le camp des indépendan­tistes partisans de la voie unilatéral­e. Près de 36% des électeurs indépendan­tistes souhaitent un accord négocié avec le gouverneme­nt central et 20 %, l’abandon du procès.

La négociatio­n ne peut se tenir que dans le cadre constituti­onnel — ce qui écarte d’emblée la question du référendum d’autodéterm­ination. Mais les sujets ne manquent pas, comme les 12 lois catalanes suspendues par le Tribunal constituti­onnel et les 23 revendicat­ions économique­s et sociales d’Artur Mas soumises à Rajoy et devenues 46 avec Puigdemont en 2016.

Si l’on écarte le référendum, les 45 revendicat­ions concernent quatre catégories de politiques publiques : la garantie des droits sociaux, les politiques sociale et fiscale, les conflits de compétence­s avec l’État espagnol et la fin de la juridisati­on de la vie politique catalane. Aujourd’hui, ce point porte sur le sort des indépendan­tistes emprisonné­s ou en fuite.

Dans ce domaine, les marges de manoeuvre de Pedro Sanchez sont limitées par le principe de séparation des pouvoirs. Mais la ministre de la Justice peut agir auprès de son administra­tion pénitentia­ire et du parquet général de l’État afin que les prévenus soient détenus en Catalogne.

Les sujets de dialogue ne manquent pas, donc. Mais Pedro Sanchez aura-til les coudées franches alors qu’il n’a pas de majorité parlementa­ire et qu’il est surveillé par les barons du PSOE ? Quant aux indépendan­tistes, feront-ils plus de politique et moins de poker ?

Au-delà des postures, les positions des uns et des autres peuventell­es vraiment évoluer ?

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