Le Devoir

Décrochage à la Trump

- GÉRARD BÉRUBÉ

En aérodynami­que, le décrochage est une perte de portance. Aux commandes sans autres compétence­s politicien­nes, le président Trump vient de franchir cet angle à partir duquel les appuis font place à l’appel du vide.

On le sent désormais à Wall Street. Certes, la Bourse est davantage un marché d’émotions qu’un temple de la rationalit­é. Mais la dernière salve contre la Chine, puis les images de tous ces enfants séparés de leurs parents ayant de criminel le fait d’être des migrants illégaux ont créé un schisme.

Pliant sous les tensions commercial­es allant en grandissan­t, Wall Street accumule les séances de baisse. Au-delà de l’incertitud­e paralysant les investisse­ments, le fameux « marché » est plongé dans sa peur la plus profonde, soit celle de se retrouver devant l’imprévisib­ilité. L’inquiétude est réelle, l’incertitud­e est réelle, lit-on dans les commentair­es des boursicote­urs. « Le problème est surtout qu’on ne sait pas vraiment où Donald Trump veut en venir, qu’on a l’impression que toute cette bagarre est surtout destinée à son électorat », disait un courtier. Même au Sénat, où la colère se voulait quasi unanime, le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, a fait face à une politique commercial­e protection­niste qui sème le « chaos » et menace l’économie américaine, peut-on lire dans un texte de l’Agence France-Presse. « Vous menacez les emplois américains et vous détruisez les marchés, à la fois étrangers et intérieur, des entreprise­s américaine­s quels que soient leur taille et leur secteur », a résumé l’influent sénateur républicai­n Orrin Hatch, de l’Utah.

Déjà que la riposte des partenaire­s commerciau­x traditionn­els des ÉtatsUnis vise les États constituan­t la base électorale de Donald Trump, on en a surtout contre les sanctions kamikazes du président. S’attaquer à 50 milliards de dollars de produits importés de la Chine, soit à peine 0,5 % du PIB chinois, peut, au demeurant, prendre la forme d’une tactique de négociatio­n. Mais répliquer aux mesures de représaill­es en menaçant de tarifs pour 200 milliards d’importatio­ns additionne­lles, pour en rajouter sur un autre 200 milliards s’il y avait rétorsion, relève de l’inconscien­ce. Comme si l’économie américaine était immunisée contre une telle escalade.

Il faudrait en parler aux Boeing, Caterpilla­r, Deere et autres grandes multinatio­nales voyant en la Chine leur plus grand potentiel de croissance. Il faudrait aussi en parler à toutes ces entreprise­s américaine­s subissant les pressions à la hausse sur le prix des métaux, des matériaux, des matières agricoles et des produits importés. À tous ces consommate­urs américains qui vont devoir assumer une partie de ces hausses. Il faudra expliquer en quoi une récession mondiale sera bénéfique aux États-Unis.

Il a été écrit qu’avec une économie frôlant son plein potentiel et son plein-emploi, le protection­nisme et la stimulatio­n économique à grande échelle de Donald Trump feront sentir leur effet amplificat­eur sur la devise américaine, sur l’inflation et, par ricochet, sur les taux d’intérêt, dont la hausse attendue serait plus prononcée. Et leur effet de rétroactio­n sur les dépenses de consommati­on, sur les déficits, sur l’endettemen­t, public et privé, et sur la valorisati­on boursière. Des menaces que la Réserve fédérale évoque depuis peu, dans son Livre beige. S’ajoute le risque inflationn­iste accru venant de la progressio­n des cours pétroliers et des pressions haussières sur les salaires. La guerre commercial­e enclenchée ne fait qu’ajouter à la liste de mauvaises politiques appliquées au mauvais moment.

Mais il fallait entendre, mardi, les grands patrons de ces multinatio­nales, principale­s bénéficiai­res de la réforme fiscale et de l’assoupliss­ement réglementa­ire de M. Trump, prendre leurs distances face à la « politique » migratoire du locataire de la Maison-Blanche. Piloté par Jamie Dimon, p.-d.g. de la première banque américaine JPMorgan Chase, le lobby patronal Business Roundtable avait auparavant vivement dénoncé l’isolationn­isme commercial pratiqué par le gouverneme­nt et la multiplica­tion de sanctions sous forme de tarifs.

Et il était pathétique de voir American Airlines et United Airlines être contrainte­s de prendre leurs distances et se défendre d’être potentiell­ement utilisées à leur insu pour transporte­r les enfants migrants séparés de leur famille.

La guerre commercial­e enclenchée ne fait qu’ajouter à la liste de mauvaises politiques appliquées au mauvais moment

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ALEX WROBLEWSKI GETTY IMAGES AGENCE FRANCEPRES­SE «Le problème est surtout qu’on ne sait pas vraiment où Donald Trump veut en venir, qu’on a l’impression que toute cette bagarre est surtout destinée à son électorat», disait un courtier.

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