Le Devoir

Une première ville au Québec rase tous ses frênes

Reconnaiss­ant sa défaite, Gatineau a décidé d’abattre ses arbres plutôt que de poursuivre les traitement­s

- AMÉLI PINEDA

Une première ville au Québec y va d’une solution extrême en rasant tous les frênes sur son territoire tandis que le gouverneme­nt du Québec n’a toujours pas donné suite aux demandes de nombreuses municipali­tés qui réclament une stratégie commune ainsi qu’une aide financière pour lutter contre l’agrile du frêne.

Dépassée par le niveau d’infestatio­n de ses frênes, la Ville de Gatineau en est venue à la conclusion qu’il valait mieux les faire complèteme­nt disparaîtr­e du paysage que les traiter.

«Lutter contre l’agrile du frêne, c’est impossible. C’est utopique de dire qu’on lutte contre cet insecte. Actuelleme­nt, ce qu’on fait, c’est gérer une problémati­que pour laquelle il n’y a pas de solution miracle », souligne Alexandre Dumas, ingénieur forestier au service de l’environnem­ent de la Ville de Gatineau.

D’ici 2020, ce sont 40 000 frênes qui seront abattus, portant le total d’arbres coupés depuis le début des ravages de cet insecte dévastateu­r à 70 000.

La problémati­que de l’agrile du frêne doit être gérée dans une optique de sécurité publique plutôt que dans une perspectiv­e de préservati­on du patrimoine arboricole, estime désormais la Ville de Gatineau.

Originaire d’Asie

L’agrile, un insecte vert métallique originaire d’Asie qui s’attaque aux frênes, a été détecté pour la première fois à Carignan en 2008, puis deux ans plus tard à Gatineau.

« Comme municipali­té, on a décidé de se concentrer sur la gestion du frêne, et notre responsabi­lité, c’est que ces arbres ne deviennent pas dangereux pour la population », indique M. Dumas.

D’autant plus, rappelle M. Dumas, que les solutions qui existent actuelleme­nt ne font que prolonger la durée de vie du frêne, sans nécessaire­ment freiner l’épidémie.

« Financière­ment, nous n’avons aucune aide. Les coûts sont à 100 % assumés par chacune des villes. Ce ne sont pas toutes les municipali­tés qui ont la structure, l’organisati­on et la capacité financière de faire face à une épidémie de cette envergure », souligne M. Dumas.

De 2013 à 2017, la Ville a dépensé environ 6 millions pour la gestion de l’agrile du frêne. L’abattage massif qui s’échelonner­a sur les trois prochaines années coûtera également 6 millions.

M. Dumas compare les ravages provoqués par l’agrile à ceux laissés par le verglas de 1998.

« Les ravages de l’agrile sont du même ordre que ceux d’une très grande catastroph­e naturelle. La seule différence, c’est qu’ils s’étendent sur plusieurs années, parce qu’on ne les voit pas instantané­ment. Il n’en reste pas moins qu’en matière de pertes d’arbres, il y en aura pratiqueme­nt autant que lors du verglas », dit-il.

Même si l’agrile ne connaît pas de frontières, l’épidémie a jusqu’à présent été gérée localement par chacune des municipali­tés touchées, ce qui ne facilite pas toujours le combat, souligne un expert.

« Le fait qu’une ville reconnaiss­e avoir perdu la bataille, c’est triste, mais ce n’est malheureus­ement pas surprenant », indique Daniel Kneeshaw, professeur au Départemen­t de sciences biologique­s de l’UQAM et membre du Centre d’études de la forêt.

Problème national, gestion locale

Selon M. Kneeshaw, le cas de Gatineau découle du fait que chaque municipali­té a livré sa propre bataille, commettant parfois des erreurs. « Les batailles au Québec ont été livrées à droite et à gauche, sans nécessaire­ment la même intensité », rappelle-t-il.

Pourtant, plusieurs villes au Québec tentent depuis des années de mettre en place une stratégie commune pour combattre l’insecte dévastateu­r.

En 2016, la Communauté métropolit­aine de Montréal (CMM), qui représente les 82 municipali­tés qui forment la grande région de Montréal, a demandé au ministère des Affaires municipale­s de soumettre à l’Assemblée nationale des modificati­ons législativ­es afin de doter la CMM d’un pouvoir réglementa­ire pour accélérer la mise en oeuvre d’une Stratégie métropolit­aine de lutte contre l’agrile du frêne.

La CMM a également demandé d’élaborer un programme commun avec le gouverneme­nt du Canada, le gouverneme­nt du Québec et les municipali­tés de la grande région montréalai­se afin de financer le remplaceme­nt des frênes sur le territoire métropolit­ain.

Le ministère des Affaires municipale­s indique que la demande de la CMM est toujours à l’étude. Il précise toutefois que deux ministères participen­t aux travaux du Comité métropolit­ain de lutte contre l’agrile du frêne.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? La Ville de Montréal a traité près de 95 000 arbres sur les terrains publics au cours des dernières années. Elle a néanmoins dû procéder à l’abattage de plus de 15 000 arbres depuis 2011. L’an dernier, la Ville a annoncé l’abattage de 4000 frênes sur...
JACQUES NADEAU LE DEVOIR La Ville de Montréal a traité près de 95 000 arbres sur les terrains publics au cours des dernières années. Elle a néanmoins dû procéder à l’abattage de plus de 15 000 arbres depuis 2011. L’an dernier, la Ville a annoncé l’abattage de 4000 frênes sur...
 ?? VILLE DE MONTRÉAL ?? L’agrile, un insecte vert métallique originaire d’Asie qui s’attaque aux frênes, a été détecté pour la première fois à Carignan en 2008, puis deux ans plus tard à Gatineau.
VILLE DE MONTRÉAL L’agrile, un insecte vert métallique originaire d’Asie qui s’attaque aux frênes, a été détecté pour la première fois à Carignan en 2008, puis deux ans plus tard à Gatineau.

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