Et maintenant ?
La légalisation de la marijuana a reçu la bénédiction du Parlement, mais il faudra attendre avant d’allumer un joint en toute impunité. Le gouvernement Trudeau a eu la sagesse de retarder la mise en oeuvre de sa promesse phare à la mi-octobre afin de donner aux provinces, qui le demandaient, plus de temps pour se préparer.
Les libéraux visaient le 1er juillet, ils devront patienter jusqu’au 17 octobre. Quatre mois d’attente sont bien peu de chose après 95 ans de prohibition et de répression qui n’ont rien fait pour contenir la consommation et freiner le crime organisé, et qui ont eu pour effet pervers d’hypothéquer l’avenir de milliers de citoyens.
Le virage historique qu’effectuera le Canada est le bienvenu tant l’échec de l’approche répressive est évident partout dans le monde. L’entrée en vigueur de la loi n’est toutefois que le début d’une expérience inédite qui testera les gouvernements.
Le nouveau régime n’est pas parfait et encore incomplet. Les produits comestibles à base de cannabis ne seront légaux que dans un an alors qu’ils représentent une part non négligeable du marché. C’est le crime organisé qui en bénéficiera entre-temps. Ottawa travaille à la réglementation de ce secteur, mais il doit tout faire pour devancer son échéancier.
Les communautés autochtones particulièrement affectées par la dépendance aux drogues voulaient qu’on leur donne un an de plus pour se préparer. Ottawa leur a refusé ce répit, mais a promis de les aider. Il doit tenir parole.
La pression sur les provinces et les territoires, responsables de l’encadrement de la distribution et de la vente au détail, sera immense, car c’est à cette échelle que s’exercera le contrôle de l’accès au cannabis et la mise en place d’un marché légal suffisamment robuste pour déloger le crime organisé. Or les deux objectifs centraux de la loi sont justement de dissuader les jeunes de consommer de la marijuana et de contrer le marché noir.
Or, aura-t-on suffisamment de produits légaux pour satisfaire la demande après le 17 octobre ? Y aura-t-il assez de points de vente et l’achat en ligne sera-t-il suffisamment simple pour décourager le recours au trafiquant du coin ? Rien n’est moins sûr.
Le premier ministre Justin Trudeau a même reconnu en conférence de presse mercredi que le crime organisé ne serait pas supplanté du jour au lendemain. « Nous sommes confiants qu’au début, nous allons prendre une part significative du marché occupé presque entièrement pour l’instant par le crime organisé. Puis, au cours des mois et, effectivement, des années qui suivront, nous remplacerons complètement ou presque le marché noir », a-t-il dit.
C’est pour y arriver au niveau local qu’Ottawa dit avoir permis la culture à domicile d’au plus quatre plants et qu’il a tenu tête au Québec et au Manitoba qui veulent l’interdire. Mais quelle loi aura alors préséance ? La sienne, dit Québec. Belle bataille judiciaire en perspective qu’Ottawa aurait pu prévenir en acceptant l’amendement du Sénat accordant aux provinces la possibilité d’interdire la culture à domicile, et non seulement de la limiter à un plan. Il n’aurait pas fallu qu’une réforme aussi fondamentale piétine à cause d’un plan de mais ce flou juridique ajoute aux multiples grains de sable capables d’enrayer l’engrenage.
Autre inconnue : le sort réservé aux Canadiens qui ont un casier criminel pour possession simple de marijuana avec les conséquences négatives qui en découlent. Leur offrira-t-on un pardon ? Comme la loi actuelle reste en vigueur jusqu’au 17 octobre, le gouvernement refuse de s’engager pour ne pas encourager les gens à l’enfreindre. M. Trudeau ne ferme toutefois pas la porte, disant que son gouvernement se penchera sur ce dossier une fois la nouvelle loi en vigueur. Il devra plus qu’y penser. Effacer ces casiers est la seule chose logique à faire, et rapidement après l’entrée en vigueur.
Selon le premier ministre Trudeau, « la légalisation de la marijuana est un processus continu, pas un événement d’une seule journée ». Il a raison, mais cela impose au fédéral et aux provinces d’être en état d’alerte, prêts à réagir rapidement pour corriger lacunes et bavures.
Le décollage doit, malgré les inévitables turbulences initiales, se faire sans accrocs majeurs. Le Canada est le premier pays du G7 et seulement le deuxième pays après l’Uruguay à faire ce bond en avant. Les yeux du monde sont tournés vers lui. Il a droit à l’erreur, mais pas à l’échec.