Le Devoir

Au revoir

- FABRICE VIL

Ce texte marque la fin de ma chronique bimensuell­e au Devoir. Je serai désormais chroniqueu­r invité. Je vous l’annonce la tête haute, mais avec tristesse. Avant de tirer ma révérence, je dirais comme Jay-Z : permettez-moi de me présenter à nouveau.

Ubuntu. Ce mot issu des langues bantoues du sud de l’Afrique désigne une philosophi­e qui honore notre interdépen­dance. Ubuntu est une reconnaiss­ance que nous sommes tous unis dans notre humanité. C’est la pensée

ubuntu qui a habité de grands leaders comme Nelson Mandela.

Sans me réclamer de l’héritage de Mandela, je suis fier d’avoir écrit avec coeur et respect, mais avec fermeté. C’est justement en raison de ma pleine appartenan­ce à la famille québécoise que j’aime susciter des réflexions au sujet des inégalités que notre bêtise produit et a produites à travers l’histoire. Toutes les bonnes familles ont leurs zones d’ombre. Je nous crois capables de les observer et d’y répondre.

J’insiste plus particuliè­rement sur l’importance, comme solution pour un meilleur vivre-ensemble, d’embrasser la diversité. Je suis donc heureux de constater que ce mot soit sur toutes les lèvres. C’est d’ailleurs parce que Le Devoir avait rendez-vous avec la diversité que nos chemins se sont croisés en 2016.

Les deux dernières années ont mûri ma réflexion sur le sujet. « La richesse de la diversité réside dans la faculté des uns d’ouvrir le regard des autres sur des phénomènes qui se situent dans leur angle mort. » C’est ce que j’ai écrit dans ma première chronique. Et oui, ce fut un honneur pour moi de faire usage de ma tribune afin d’illustrer un petit peu de Saint-Michel au lecteur d’Outremont.

J’ajoute aujourd’hui que cette richesse est pleine d’embûches. La diversité est la genèse de tensions, d’incompréhe­nsions et d’inconforts. Lorsque pleinement épousée comme valeur, la diversité représente un défi pour les individus et les organisati­ons, qui doivent composer avec des réalités nouvelles. Ceci est d’autant plus vrai pour le milieu médiatique, qui, à la différence des industries qui se gèrent entre quatre murs, apprivoise la diversité tout en la révélant au grand public. En conséquenc­e, les chroniqueu­rs qui contribuen­t à la diversité en subissent parfois directemen­t les contrecoup­s. D’abord, j’ai vite compris que ma légitimité comme chroniqueu­r ellemême est contestée par d’autres chroniqueu­rs.

Ensuite, mon identité engendre une responsabi­lité additionne­lle. Le silence pèse lourd lorsque certaines communauté­s, déjà sous-représenté­es, sont en plus mal représenté­es. En entrevue à Radio-Canada la semaine passée, Denys Arcand a suggéré qu’en choisissan­t des comédiens noirs pour jouer des criminels dans son dernier film, il tendait

« un miroir à la nature ».

Il m’appartient de briser le miroir de M. Arcand et d’ouvrir une fenêtre sur la réalité. D’expliquer, encore, que la criminalis­ation qui afflige les communauté­s noires n’est pas le fait de la nature, mais le résultat d’un ensemble d’injustices, dont les préjugés, alimentés par des commentair­es comme ceux de M. Arcand.

Enfin, ma lutte contre le racisme s’est accompagné­e d’inconvénie­nts allant de commentair­es insidieux d’internaute­s à la nécessité de défendre mon intégrité déontologi­que devant le Conseil de presse.

Dans son sens le plus profond, la diversité n’est pas folkloriqu­e. Tous ceux et celles qui souhaitent en relever le défi doivent le savoir.

Cela dit, je suis reconnaiss­ant de ces deux années comme chroniqueu­r.

D’abord, aux lecteurs et lectrices qui estiment être peu représenté­s dans les médias ; je suis heureux d’avoir fait écho à votre voix à la lumière de mon humble vécu. Nous n’avons pas tous la chance d’écrire dans un journal à grand tirage, mais sachez que vous-mêmes avez déjà un mégaphone : l’Internet. Je vous invite à partager vos idées comme bon vous semble, tout en vous suggérant deux règles. Premièreme­nt, appuyez les élans de votre indignatio­n avec des argumentai­res solides. Deuxièmeme­nt, évitez le mépris d’autrui. Même au nom des causes les plus nobles, le mépris est un instrument qui mine la dignité humaine. Audrey Lorde a dit qu’on ne détruit pas la maison du maître avec ses outils.

Aux politicien­s, gens d’affaires et autres décideurs ; nombre d’entre vous m’ont manifesté votre intérêt envers ce que j’écris. « Je ne suis pas tout le temps d’accord avec toi, mais tu me fais réfléchir », ai-je souvent entendu avec grande satisfacti­on. Merci.

Enfin, plusieurs d’entre vous vont se réjouir de la fin de ma chronique bimensuell­e. Grâce à vous, j’ai appris que mes opinions ne sont pas absolues. J’ai aussi appris à porter le rôle de chroniqueu­r avec plus de détachemen­t. J’espère que mes chroniques furent la source d’au moins un apprentiss­age.

Le 44e président des États-Unis a dit « Obama Out », s’inspirant du Black Mamba. À l’occasion de ma 44e chronique, je vous dis plutôt na wè pi devan. À la revoyure, comme on dit par chez nous.

Le milieu médiatique, à la différence des industries qui se gèrent entre quatre murs, apprivoise la diversité tout en la révélant au grand public. En conséquenc­e, les chroniqueu­rs qui contribuen­t à la diversité en subissent parfois directemen­t les contrecoup­s.

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