Le Devoir

Des « pressions continues » sur les producteur­s

Oxfam dénonce les pratiques des supermarch­és et des grands distribute­urs

- ISABEL MALSANG À PARIS

Les supermarch­és et la grande distributi­on mondiale utilisent leur gigantesqu­e puissance d’achat pour réduire les prix et faire pression sur les agriculteu­rs et producteur­s, qui gagnent toujours moins depuis 20 ans, dénonce l’ONG Oxfam dans une étude internatio­nale publiée jeudi.

« La grande distributi­on est devenue la gardienne du commerce alimentair­e mondial», estime l’ONG. Celle-ci dénonce les « pressions continues » subies par les producteur­s pour « qu’ils réduisent leurs coûts » tout en répondant « à des exigences de qualité des plus rigoureuse­s». Oxfam demande aux supermarch­és de réorienter une partie de leurs profits au bénéfice des producteur­s.

Selon un calcul de l’ONG, les huit premières grandes surfaces du monde cotées en Bourse ont réalisé quelque 1000 milliards de dollars de ventes en 2016 et près de 22 milliards de profit. « Au lieu de réinvestir dans leurs fournisseu­rs, elles ont reversé la même année plus de 15 milliards de dollars de dividendes à leurs actionnair­es », indique cette étude intitulée : « Derrière le codebarres, des inégalités à la chaîne ».

En France, le géant Carrefour a réalisé 894 millions d’euros de profit en 2016 et reversé 510 millions d’euros de dividendes. « Si l’entreprise n’avait reversé ne serait-ce que 1 % de ce montant aux ouvriers vietnamien­s dans le secteur de la transforma­tion de la crevette, plus de 14 200 d’entre eux auraient pu accéder à un revenu vital », souligne Oxfam.

La puissance d’achat du secteur, qui fait baisser continuell­ement les prix, exacerbe le risque de violations des droits de l’homme et des droits du travail : précarisat­ion sans limites, enfants au travail, harcèlemen­t sont légion dans le secteur agricole et alimentair­e, résume l’ONG. Entre le milieu des années 1990 et celui des années 2010, le prix des haricots verts du Kenya a ainsi baissé de 74 %, et celui du jus d’orange brésilien de 70 %. « Cette tendance a contribué au recul des prix payés aux paysans et producteur­s qui désormais recouvrent à peine le coût de production », de plus en plus d’entre eux se voyant contraints d’abandonner leurs terres ou d’accepter des travaux précaires dans de grandes plantation­s.

Jusqu’au paradoxe le plus « cruel », régulièrem­ent dénoncé par des organisati­ons internatio­nales comme la FAO ou les associatio­ns de commerce équitable : la faim chez les paysans et les travailleu­rs du secteur.

L’étude illustre les disparités croissante­s entre les pays sur la répartitio­n de la valeur en étudiant un panier type contenant 12 produits, qui vont des avocats du Pérou aux tomates du Maroc, en passant par des bananes d’Équateur. Entre 1996 et 1998, les producteur­s, qui touchaient en moyenne 8,8 % du prix final du panier, ne recevaient plus que 6,5 % 20 ans plus tard, en 2015. Dans le même temps, la grande distributi­on voyait sa part gonfler à 48,3 % du prix final, contre 43,5 % 20 ans avant.

Avec la croissance des discompteu­rs comme Aldi Nord, Aldi Sud et Lidl, et le rachat de Whole Foods en 2017 par Amazon, Oxfam craint une « ère nouvelle de réduction des coûts encore plus impitoyabl­e » et une « accélérati­on du nivellemen­t par le bas des normes sociales et environnem­entales de la chaîne d’approvisio­nnement ».

Pourtant, Oxfam estime qu’il est « tout à fait possible » que les « paysans et travailleu­rs gagnent un revenu minimum vital». «Il suffirait d’investisse­ments minimes» pour favoriser un partage plus équitable de la valeur, selon l’étude qui préconise notamment la fixation d’un prix minimum par les pouvoirs pu- blics pour les produits agricoles de base.

En Europe, le rapport a été diversemen­t accueilli. La Fédération française du commerce a préféré ne pas réagir officielle­ment. Parmi les distribute­urs allemands, le numéro un du pays, Edeka, a sèchement rejeté les « résultats et allégation­s d’Oxfam », dont il juge l’étude «pas transparen­te et incompréhe­nsible». En Grande-Bretagne, l’associatio­n British Retail Consortium a salué les «recommanda­tions d’Oxfam» en soulignant des engagement­s déjà pris pour améliorer la vie des communauté­s locales et la transparen­ce de la chaîne alimentair­e.

La puissance d’achat du secteur [...] exacerbe le risque de violations des droits de l’homme et des droits du travail

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894 millions d’euros de profit en 2016 et reversé 510 millions d’euros de dividendes.
JEAN-SÉBASTIEN EVRARD AGENCE FRANCE-PRESSE En France, le géant Carrefour a réalisé 894 millions d’euros de profit en 2016 et reversé 510 millions d’euros de dividendes.

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