Le Devoir

Le REM pourrait être neuf fois plus polluant que prévu

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

En omettant d’inclure une analyse de cycle de vie complet des matériaux nécessaire­s à la constructi­on du REM dans son étude d’impacts, la Caisse de dépôt et placement du Québec sousestime­rait grandement la quantité de gaz à effet serre émise par son ambitieux projet. À un point tel que cela pourrait annihiler les gains environnem­entaux envisagés pour les vingt-cinq prochaines années.

La constructi­on du Réseau express métropolit­ain (REM) pourrait générer près de 800 000 tonnes de gaz carbonique (CO2), soit plus de neuf fois ce qui a été prévu par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). C’est ce que révèle une nouvelle étude, menée par des opposants de longue date du projet, portant sur les impacts environnem­entaux de la mise en service du REM, dont Le Devoir a obtenu copie.

L’étude, conduite à la demande du Syndicat canadien de la fonction publique et de la Coalition climat Montréal, inclut une analyse du cycle de vie complet des matériaux nécessaire­s à la constructi­on du futur service de transport collectif — comme le béton et l’acier —, notamment parce que ce sont eux qui font généraleme­nt grimper la facture énergétiqu­e d’un projet d’infrastruc­ture. Ces derniers ont pourtant été mis de côté par la CDPQ dans le cadre de ses propres évaluation­s.

De fait, ce sont eux qui sont à la source de la majorité des émissions de gaz à effet de serre (GES), soulignent les chercheurs de l’étude inédite fournie au Devoir, Luc Gagnon et Jean-François Lefebvre. Dans le cas du béton, par exemple, cela s’explique, entre autres choses, par la production du ciment nécessaire à sa conception. Celui-ci, bien qu’il ait une durée de vie de plus de 50 ans et qu’il soit résistant aux intempérie­s, est un composant hautement énergivore qui a un coût environnem­ental particuliè­rement élevé.

Plus encore, selon leurs calculs, ces émissions produites en amont pourraient annuler complèteme­nt les bénéfices prévus par le promoteur pour le prochain quart de siècle. De fait, à l’heure actuelle, les évaluation­s de la CDPQ indiquent que la mise en service du REM pourrait permettre d’éviter chaque année 27 200 tonnes de CO2. Toujours selon les estimation­s du promoteur, « cela correspond à moins de 5 % des émissions totales de GES liées au transport dans la région de la CMM [Communauté métropolit­aine de Montréal] ». À titre de comparaiso­n, les services de transport collectif actuelleme­nt disponible­s dans la grande région de Montréal font économiser annuelleme­nt près de 4 millions de tonnes de CO2, ce qui représente environ 55 % des émissions totales de GES liées au transport.

Omission cohérente

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir demandé à ce que les matériaux soient inclus dans les calculs, souligne l’expert en analyse énergétiqu­e et changement climatique Luc Gagnon. «C’est même une des requêtes qui avaient été faites auprès de la Caisse par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent lui-même, précise-t-il. Avec le recul, il semble qu’elle ait été ignorée, mais elle aurait permis de comparer le REM avec des projets alternatif­s, comme un réseau de tramways par exemple. »

Interrogée sur la question, la Caisse assure que « l’évaluation environnem­entale du REM a été faite conforméme­nt à la directive du ministère du Développem­ent durable […] ». C’est lui « qui dicte spécifique­ment les éléments à documenter dans l’étude d’impacts», assure le porte-parole pour le projet du REM, Jean-Vincent Lacroix. Ainsi, l’évaluation du promoteur au sujet des émissions de GES, réalisée par la firme d’ingénierie Hatch en février 2017, estime que la constructi­on du réseau générera environ 86 930 tonnes de CO2, principale­ment en raison du transport par camion des matériaux et du carburant utilisé.

En ne tenant pas compte du cycle de vie complet des matériaux de constructi­on, le promoteur soutient être cohérent « avec le fait de négliger également les économies de production de GES associées à la production de voiture ou de matériaux de constructi­on ou l’entretien des routes, possibleme­nt moins sollicitée­s grâce à la présence du REM ».

Nécessaire analyse ?

Au Québec, il n’est toutefois pas inhabituel qu’une étude d’impacts néglige le cycle de vie complet des matériaux de constructi­on, et ce, même lorsqu’il s’agit d’un projet d’infrastruc­tures. Ces études, indiquent des experts indépendan­ts consultés par Le Devoir, auraient pourtant avantage à prendre en compte tous les facteurs inhérents à un projet.

C’est d’ailleurs un peu pour pallier ce manquement que le gouverneme­nt du Québec a, en mars dernier, enchâssé dans sa nouvelle Loi sur la qualité environnem­entale un «test climat» (voir encadré). « L’idée est d’analyser un projet de sa conception — et ça comprend la fabricatio­n des matériaux qui seront utilisés — jusqu’à sa destructio­n complète », explique Luc Pellecuer, professeur au Départemen­t de génie de la constructi­on de l’École de technologi­e supérieure (ETS).

Et c’est d’autant plus pertinent lorsque l’un des objectifs du projet en question est de contribuer à la lutte contre les changement­s climatique­s, comme c’est le cas quand on parle de transport en commun, avance Mathias Glaus, également professeur au Départemen­t de génie de la constructi­on de l’ETS. « C’est la nature d’un projet qui détermine les composante­s qu’il faut évaluer, précise ce spécialist­e des évaluation­s environnem­entales. C’est cela qui permet ensuite au promoteur de faire des choix éclairés. »

D’autant que ce n’est pas tellement compliqué, renchérit sa collègue Annie Levasseur. « Dans le cas du béton et de l’acier, ce sont des données qui sont disponible­s, souligne l’ingénieure de formation. C’est beaucoup plus difficile d’évaluer d’éventuels changement­s sociaux.» Même son de cloche du côté de Luc Pellecuer. « Je suis un peu surpris que cela n’ait pas été évalué dans le cadre de ce projet, laisse-t-il tomber. Le promoteur a généraleme­nt tout en main pour faire ce genre de calcul, avec une marge d’erreur assez restreinte. »

« Cela veut-il dire que le projet aurait été rejeté à la lumière d’une analyse de ce genre ? Pas nécessaire­ment, rajoute Mathias Glaus. Mais, au besoin, cela peut permettre de revoir les matériaux utilisés, le mode choisi ou, encore, le tracé privilégié. Dans certains cas, ça peut même aider à choisir les mesures d’atténuatio­n à mettre en place. Car, ultimement, le but est toujours d’avoir le meilleur projet possible. »

Selon les calculs des chercheurs Luc Gagnon et Jean François Lefebvre, les émissions de GES produites en amont par le projet du REM pourraient annuler l’ensemble des bénéfices prévus par le promoteur pour le prochain quart de siècle

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SOURCE CAISSE DE DÉPÔT ET PLACEMENT DU QUÉBEC Selon les évaluation­s de la CDPQ, la mise en service du REM permettrai­t d’éviter chaque année l’émission de 27 200 tonnes de CO 2.

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