Tony Accurso reconnu coupable
L’ex-entrepreneur en construction était accusé de fraude, de complot, d’abus de confiance, de corruption et de collusion
L’ex-entrepreneur en construction Tony Accurso a été reconnu coupable lundi d’avoir participé au système de corruption et de collusion qui sévissait à Laval sous le règne de l’ex-maire Gilles Vaillancourt. Un verdict qualifié d’« accomplissement » par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui avait subi ces derniers mois des revers dans des dossiers similaires.
Au terme de sept jours de délibérations, le jury a rendu son verdict en fin d’après-midi au palais de justice de Laval, désert depuis trois jours en raison du long congé de la Saint-Jean-Baptiste.
Le silence qui régnait dans la salle de cour a été brisé lorsque le juré numéro trois a prononcé à cinq reprises le mot « coupable » à la lecture des chefs d’accusation auxquels faisait face M. Accurso.
La mine basse, l’ex-entrepreneur en construction a quitté les lieux rapidement, sans s’adresser aux médias. Il devra toutefois revenir au palais de justice jeudi, alors que se tiendront les observations sur sa peine.
« Après avoir présenté sa défense et rendu son témoignage, il se sent comme quelqu’un qui est trouvé coupable de quelque chose qu’il a nié », a expliqué son avocat, Me Marc Labelle. Les jurés, cinq femmes et sept hommes, ont adhéré à la thèse de la Couronne selon laquelle M. Accurso a activement participé au système de collusion et de corruption qui était « endémique » sur le territoire lavallois de 1996 à 2010.
La défense soutenait quant à elle que l’ex-entrepreneur en construction n’était pas au courant de l’implication de ses entreprises dans le stratagème, puisqu’il ne s’occupait pas des opérations quotidiennes.
Le jury reconnaît ainsi que Accurso a participé à un système qui était « endémique » sur le territoire lavallois de 1996 à 2010
Cette condamnation est pour la Couronne une grande réussite, plus de cinq ans après l’arrestation de M. Accurso.
M. Accurso avait été arrêté en mai 2013 par l’Unité permanente anticorruption (UPAC) lors d’une opération qui avait mené à l’arrestation de 37 personnes, dont l’ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt.
Il faisait face à des accusations de complot pour corruption, de complot pour fraude, de fraude, de corruption d’un fonctionnaire et d’aide à commettre un abus de confiance. M. Accurso est le seul des 37 accusés dans cette affaire à avoir choisi de se défendre devant les tribunaux. Il avait plaidé non coupable à toutes les accusations.
«C’est un évidemment un accomplissemernt. Ce sont des dossiers difficiles, des dossiers prenants. On est très satisfaits », a commenté le procureur de la Couronne, M Richard Rougeau. « Nous avons rempli nos objectifs dans tout ce dossier. Ce verdict vient le clore avec la cerise sur le sundae, comme ont dit », a-t-il ajouté.
eMe Rougeau a salué le travail du jury, qui s’était manifesté deux fois au cours de ses délibérations : d’abord pour demander de réécouter l’enregistrement complet du témoignage de M. Accurso, puis pour demander des précisions sur une prise de bec survenue entre l’ex-entrepreneur et un ancien collecteur de fonds de l’exmaire de Laval Gilles Vaillancourt.
Importante victoire
Le verdict au procès de M. Accurso était très attendu, surtout que, dans les derniers mois, l’acquittement d’accusés dans des dossiers de corruption et de collusion a beaucoup fait réagir.
« C’est une victoire importante […] En matière de corruption, la preuve peut être très difficile, parce qu’il faut la faire au-delà de tout doute raisonnable. Les gens ne laissent pas de traces de leur participation [à des systèmes collusoires]. Les jurés devaient donc se fier sur des témoignages d’individus, dont certains ont même collaboré à ce système», rappelle Martine Valois, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
En mai, l’acquittement de l’ancien numéro 2 de la Ville de Montréal Frank Zampino et de l’entrepreneur Paolo Catania avait provoqué une certaine stupéfaction dans la population et chez les observateurs. Les deux hommes, avec quatre autres individus, étaient accusés d’avoir fomenté un complot pour favoriser Construction F. Catania dans la réalisation du projet du Faubourg Contrecoeur. Ils ont été blanchis.
Quelques semaines plus tôt, M. Accurso avait été acquitté d’une accusation d’abus de confiance pour obtenir des contrats avec la Ville de Mascouche.
Ces deux événements ont suivi l’avortement du premier procès de M. Accurso alors que la poursuite s’apprêtait à commencer sa plaidoirie, une des dernières étapes avant la délibération du jury.
L’avocat criminaliste Walid Hijazi rappelle toutefois que l’efficacité du système de justice ne se résume pas au prononcé d’un verdict.
«Chaque dossier est unique, alors lorsqu’un verdict d’acquittement est rendu, ce n’est pas un échec, pas plus qu’une condamnation est une réussite », indique Me Hijazi.
Impliqué dans le stratagème
L’implication de M. Accurso dans le système de collusion lavallois avait été évoquée par notamment trois des douze témoins de la Couronne.
Marc Gendron, un des anciens collecteurs de fonds du maire Vaillancourt, avait entre autres raconté avoir reçu 200 000 $ en argent comptant des mains de M. Accurso.
Un événement qu’avait nié l’accusé, plaidant que c’était impossible qu’il ait remis ces sommes puisque, non seulement il ne garait jamais son véhicule à l’endroit où M. Gendron prétendait avoir effectué l’échange, mais il ne lui adressait plus la parole depuis un différend survenu entre eux.
Gilles Théberge, ancien directeur de Valmont-Nadon, une des entreprises concurrentes à celles de M. Accurso, avait rapporté qu’en 2005 M. Accurso avait tenté de régler un litige concernant un contrat truqué. Les deux entreprises s’étaient fait promettre le même projet de 4 millions de dollars.
Bien qu’il n’ait pas nié la rencontre avec M. Théberge à ses bureaux de Laval, M. Accurso a expliqué qu’il attendait un appel important cette journéelà et qu’il n’était pas attentif à ce que son bras droit, Joe Molluso, et M. Théberge lui expliquaient.
M. Accurso, qui a choisi de témoigner pour sa défense, avait insisté sur le fait qu’il n’aurait pas risqué de voir son empire de la construction s’effondrer s’il avait su que ses firmes étaient impliquées dans un stratagème collusoire.
«Écoutez, j’ai bâti un empire d’un milliard de dollars. Je ne mettrais pas ça en péril [pour des contrats à Laval qui représentent] de 0,6% à 3% de mon chiffre d’affaires. Ça n’a pas de bon sens ! » avait-il fait valoir.
Il avait avoué avoir entendu parler du système de partage de contrats à deux reprises. C’est son ami Claude Asselin, à l’époque directeur général de la Ville de Laval, qui aurait évoqué le système en 1997 et en 2002, lors de rencontres.
Intrigué, l’ex-entrepreneur avait raconté avoir questionné ses deux bras droits, Joe Molluso et Frank Minicucci, mais comme tous deux lui avaient assuré qu’il n’y avait pas de système de collusion et qu’ils n’y participaient pas, il ne s’était pas posé davantage de questions.
L’accusé de 66 ans pourrait écoper d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 10 ans pour le chef de fraude. La peine maximale pour tous les autres chefs d’accusation est de cinq années.
C’est une victoire importante […] En matière de corruption, la preuve peut être très difficile, parce qu’il faut la faire au-delà de tout doute raisonnable. MARTINE VALOIS