Le Devoir

Courte vue

- MANON CORNELLIER mcornellie­r@ledevoir.com

Sur quelle planète vivent les conservate­urs canadiens ? À les entendre, il serait possible de combattre les changement­s climatique­s sans changer les habitudes ni la participat­ion financière des Canadiens. Conservate­urs fédéraux, saskatchew­anais, albertains et ontariens cherchent tous à torpiller les plans d’action actuelleme­nt en place sans proposer de solutions de rechange qui tiennent la route. La Saskatchew­an a un plan, mais qui ne lui permettra pas d’apporter sa juste contributi­on pour atteindre les engagement­s pris par le Canada lors de la Conférence de Paris en 2015. Des cibles, rappelons-le, fixées par le gouverneme­nt Harper et qui prévoient, d’ici 2030, une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sous le niveau de 2005. La province risque par conséquent de se voir imposer la taxe sur le carbone fédérale, qu’elle compte bien contester devant les tribunaux.

Elle aura l’aide de l’Ontario, où le premier ministre désigné, Doug Ford, a déjà annoncé pour le 29 juin le retrait de sa province du système de plafonds et d’échange de crédits qui la lie au Québec et à la Californie. Des centaines d’entreprise­s, qui ont acheté à la province pour 2,8 milliards de dollars de crédits, ne peuvent plus les échanger. De coûteuses poursuites sont à prévoir sans pour autant épargner aux Ontariens une taxe sur le carbone puisque, en l’absence de plan provincial, la taxe fédérale s’appliquera dès janvier prochain.

En Alberta, le chef conservate­ur, Jason Kenney, a fait de son opposition au plan du gouverneme­nt néodémocra­te de Rachel Notley le thème central de sa campagne en vue des élections du printemps 2019.

Au fédéral, les troupes d’Andrew Scheer ont adopté une stratégie similaire. Opposés à la taxe fédérale, ils accusent sans relâche les libéraux de cacher ce qu’il en coûtera à chaque Canadien. La transparen­ce est une bonne chose, mais plusieurs économiste­s et un comité sénatorial ont déjà fait ces calculs, qui ont toutefois leurs limites. Ces estimation­s ne tiennent pas compte des économies découlant des changement­s d’habitudes des consommate­urs, qui sont difficiles à prévoir, ni des mesures d’atténuatio­n financière qui relèvent des provinces, la plupart étant inconnues.

Pour promouvoir leur message, les conservate­urs fédéraux ont même provoqué un marathon de votes de plus de 12 heures il y a deux semaines. Jouant sur l’aversion de bien des citoyens pour toute nouvelle taxe, peu importe sa pertinence, ils s’abstiennen­t de se prononcer sur le fond des choses. Ils disent travailler sur un plan de lutte contre les changement­s climatique­s, mais eux qui prônent la transparen­ce n’ont encore rien rendu public. Impossible donc d’en connaître le coût et de juger de son efficacité.

Les libéraux, qui se plaisent à souligner cet angle mort conservate­ur, ne reculent pas. La semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau s’est dit déçu de la décision ontarienne et a rappelé que la taxe sur le carbone s’appliquera, si nécessaire. Mais si le gouverneme­nt Ford comptait sur les revenus de cette dernière pour prendre le crédit d’un quelconque allégement fiscal, il va déchanter. M. Trudeau a rappelé qu’Ottawa respectera sa promesse de retourner aux provinces les revenus récoltés sur leur territoire, mais la loi lui permet d’envoyer l’argent directemen­t aux citoyens, ce qu’il semble vouloir faire.

En s’opposant sans nuance à la tarificati­on du carbone, les conservate­urs canadiens mènent un combat d’arrière-garde et affichent une vision à courte vue en matière d’environnem­ent. Ils sont obsédés par le déficit budgétaire, mais font fi du déficit environnem­ental qui n’ira qu’en s’aggravant si rien n’est fait. Un déficit qui, lui, une fois créé, ne peut plus être effacé.

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