Le Devoir

Pour un développem­ent innovant à Montréal

- CYRIL CHARRON ARCHITECTE

Comme d’autres grandes villes, Montréal est dynamisée par tous ses acteurs économique­s et sociaux. Même l’agricultur­e urbaine y fait son apparition. Un tissu serré s’y développe, notamment dans le domaine de l’enseigneme­nt, de la culture, du divertisse­ment et des arts. Une population extrêmemen­t diversifié­e anime le tout. Grâce à sa mixité et à sa densité, la ville travaille, palpite, surprend et divertit. Comme toute grande ville Montréal a sa personnali­té propre, son identité. Son âme est citoyenne et collective.

Et pourtant, on continue de déplorer l’exode des jeunes familles vers les banlieues, qu’on attribue à la hausse des taxes foncières et à celle du prix des habitation­s. N’y a-t-il pas d’autres raisons ? On continue d’accorder des permis de construire aux promoteurs sur des terres agricoles à proximité de l’agglomérat­ion montréalai­se, et ce, malgré le gel des changement­s de zonage.

Par ailleurs, alors que l’avenir de Montréal passe entre autres par la densificat­ion de son habitat, les mesures en ce sens restent beaucoup trop timides. Plusieurs organismes s’y consacrent, notamment «Vivre en ville». Densifier, c’est respirer. C’est la seule façon d’assurer un bon niveau de services, de créer un appel d’air pour des commerces de proximité, pour la création de parcs et d’écoles, pour permettre une mobilité durable. La création des aires AATC (Aménagemen­t axé sur le transport en commun) ou TOD (transit-oriented developmen­t) est un premier pas, mais insuffisan­t, car jusqu’à aujourd’hui, ces aires ne permettent pas la réalisatio­n de quartiers urbains, de vrais milieux de vie.

Les projets fusent

La récente constructi­on du nouveau campus de l’Université de Montréal à l’emplacemen­t de la gare de triage d’Outremont en est un bel exemple. Bientôt terminé, ce projet devrait permettre de créer des liens entre le très résidentie­l arrondisse­ment d’Outremont, le très populaire quartier Parc-Extension et le très «branché» Mile End. Cette revitalisa­tion d’une friche industriel­le est pleine de promesses de mixité sociale et de décloisonn­ement des quartiers. Ce développem­ent d’un établissem­ent d’enseigneme­nt universita­ire participe intelligem­ment à la croissance et à la densificat­ion de Montréal.

Autre exemple, l’heureuse initiative, en son temps, de construire la place Jean-Paul-Riopelle, encadrée par le siège de la Caisse de dépôt d’un côté et l’agrandisse­ment du Palais des congrès de l’autre, s’inscrit dans cette dynamique de créer des liens entre les quartiers, ici le Vieux-Montréal et le centrevill­e, revitalisa­nt l’un et l’autre.

Et pourtant, je déplore que cette créativité déployée pour des projets institutio­nnels ne se retrouve pas dans des projets de constructi­ons résidentie­lles. Ici s’inscrit le manque de vision de Griffintow­n, pourtant si près du but. Densificat­ion, oui, mais à quel prix et avec quelles lacunes ! Où sont les écoles, les parcs, les centres culturels qui sont des éléments essentiels de tout nouveau quartier ? Où est le maillage urbain propice à la conviviali­té et au « vivre-ensemble » ? À déplorer aussi la réalisatio­n fort probable du mégacentre commercial Royalmount, copié-collé du « DIX30 », jusque dans la dénominati­on projetée «15-40». Quel intérêt pour les Montréalai­s, pour la ville ? Quel conformism­e ! On peut se demander à quel besoin répond ce projet, alors qu’à courte distance le centre commercial L’Acadie offre déjà les mêmes possibilit­és.

Quelques pistes

Pour assurer un développem­ent urbain innovant propre à l’identité montréalai­se, nous pourrions emprunter diverses pistes :

La première piste redonnerai­t le fleuve Saint-Laurent aux insulaires montréalai­s. Il y a bien entendu le vieux projet de déplacer l’autoroute 10 qui relie le centre-ville à l’île des Soeurs et au pont Champlain afin de permettre l’accès et l’aménagemen­t des berges. Alors, dans un même ordre d’idée, ne pourrions-nous pas aménager les espaces vacants du Vieux-Port, tel le quai de la Pointe-du-Moulin, tout autour du silo numéro 5, comme le suggère l’architecte Pierre Thibault depuis plusieurs années ? Mettre à la fois en valeur les silos à grain, notre patrimoine industriel, et la voie maritime, cet accès exceptionn­el vers les Grands Lacs, pénétrant au coeur de l’Est nordaméric­ain et vers l’océan Atlantique. Nous pourrions même construire sur le fleuve comme à Amsterdam, où d’immenses blocs d’habitation­s érigés dans l’eau sont amarrés aux quais.

La deuxième piste serait de développer harmonieus­ement les ruelles, qui sont un des trésors cachés de Montréal. Elles sont un des révélateur­s d’identité des Montréalai­s puisqu’ils y donnent libre cours à leur imaginatio­n, au gré de leurs besoins et de leurs fantaisies. Les ruelles procèdent d’un désordre ordonné où chacun s’y retrouve ajoutant garages, jardins, potagers, galeries couvertes, vérandas, verrières et autres cabanons. D’aucuns ont proposé des « logements accessoire­s » qui seraient justement construits dans les arrières cours. Selon la largeur des ruelles et des lots qui les bordent, il serait séduisant de développer un deuxième niveau d’occupation et d’accès de l’îlot urbain typique de Montréal. Bâti additionne­l, ajout d’étage, surélévati­on des «plex», réglementa­tion municipale mieux adaptée à la vie urbaine du XXIe siècle, circulatio­n piétonne, la liste des possibilit­és est encore longue.

La troisième piste consistera­it à faire preuve d’autant d’imaginatio­n et d’innovation pour les constructi­ons d’édifices résidentie­ls que celles qui ont permis la réalisatio­n du campus de l’Université de Montréal à la gare de triage ou celle de la place Jean-Paul-Riopelle. Il s’agirait d’intervenir sur des sites qui cloisonnen­t Montréal, comme les autoroutes Décarie et 40, les viaducs et les voies ferrées, pour aménager des logements et des espaces verts. Transforme­r ces cicatrices urbaines en espaces conviviaux et uniques desservant à la fois les familles et l’ensemble des Montréalai­s.

En 1967, Moshe Safdie nous surprenait avec son étonnant Habitat 67. Nous l’avons admiré. Pourquoi, un demi-siècle plus tard, ne faisons-nous pas preuve de la même audace ? Pourquoi sommesnous devenus si frileux ? Les pouvoirs publics ont la responsabi­lité de l’avenir de Montréal. Demandons-leur d’oser, en concertati­on avec les citoyens et les promoteurs, l’innovation et la créativité. Faisons confiance à nos architecte­s, à nos urbanistes et à nos designers. Ils ont des idées, ils sont innovants et créateurs. Écoutons-les.

Faisons confiance à nos architecte­s, à nos urbanistes et à nos designers. Ils ont des idées, ils sont innovants et créateurs. Écoutonsle­s.

 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? La constructi­on du nouveau campus de l’Université de Montréal à l’emplacemen­t de la gare de triage d’Outremont est un projet qui devrait permettre de créer des liens entre Outremont, Parc-Extension et le Mile End.
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR La constructi­on du nouveau campus de l’Université de Montréal à l’emplacemen­t de la gare de triage d’Outremont est un projet qui devrait permettre de créer des liens entre Outremont, Parc-Extension et le Mile End.

Newspapers in French

Newspapers from Canada