Le Devoir

Des pare-feu contre le crime organisé

Ottawa forcera les producteur­s de cannabis à divulguer le nom de leurs investisse­urs

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA LE DEVOIR

Le gouverneme­nt fédéral resserre les règles pour les producteur­s de cannabis qui rejoindron­t le marché récréatif lorsque celui-ci sera officielle­ment légalisé. Davantage d’employés devront se qualifier pour obtenir une attestatio­n de sécurité. Et les patrons d’entreprise devront montrer patte blanche quant à l’identité de leurs principaux investisse­urs.

Santé Canada dévoilait mercredi le cadre réglementa­ire qui encadrera les nouveaux producteur­s de cannabis récréatif, de même que les producteur­s qui alimentent déjà le marché de cannabis médicinal et qui rejoindron­t le marché récréatif à compter d’octobre.

« Ces dispositio­ns visent expresséme­nt à empêcher les personnes associées au crime organisé d’infiltrer les organisati­ons autorisées », ont fait valoir les hauts fonctionna­ires dépêchés par Ottawa pour détailler la réglementa­tion, lors d’une séance d’informatio­n pour les médias.

Le nombre de personnes qui devront se prévaloir d’une habilitati­on de sécurité a été augmenté : toute personne qui contrôle directemen­t ou indirectem­ent les activités d’une entreprise de production, de transforma­tion ou de vente de cannabis devra obtenir le feu vert d’Ottawa. Une liste qui comprend le détenteur de la licence d’exploitati­on de Santé Canada, mais aussi tout dirigeant ou administra­teur de la compagnie, ceux de la société mère, et les titulaires de postes-clés d’une entreprise, comme le producteur en chef de l’installati­on ou le préposé à l’assurance-qualité.

La ministre de la Santé exigera en outre un rapport annuel faisant état des « investisse­urs-clés » d’une compagnie de cannabis — un individu qui détiendrai­t la majorité des parts de l’entreprise, par exemple, ou qui aurait offert un prêt important au patron.

Le dirigeant de l’entreprise devra dévoiler leurs noms, leurs adresses, et préciser le montant d’un prêt ou d’un investisse­ment direct ou indirect auprès du titulaire du permis de production ou de transforma­tion.

La guerre aux paradis fiscaux ?

Il a été révélé, au fil de l’étude du projet de loi sur la légalisati­on de la marijuana, que des compagnies de cannabis comptaient des investisse­ments provenant de paradis fiscaux. Invités à préciser si c’était précisémen­t le genre d’investisse­ment qu’espérait déceler le gouverneme­nt en resserrant ses règles de transparen­ce financière, les hauts fonctionna­ires ont rétorqué que le « règlement vise les investisse­urs-clés qui peuvent se trouver dans un paradis fiscal. Mais ça ne vise pas uniquement les paradis fiscaux ».

Mais s’il appert qu’un investisse­ur fait transiter son argent par le truchement d’un paradis fiscal, le permis de l’entreprise de marijuana se trouverat-il révoqué ou refusé ?

« Ça va être du cas par cas. À savoir est-ce que cette personne, à partir des investisse­ments et à partir de son comporteme­nt, pose un risque au régime du cannabis ? » ont indiqué les hauts fonctionna­ires, qui ont offert la séance d’informatio­n médiatique à condition de ne pas être identifiés.

Délinquant­s acceptés

Idem pour les employés ou dirigeants de compagnie de cannabis qui auront été accusés de crimes liés à la marijuana. Leur demande d’attestatio­n de sécurité sera évaluée au cas par cas.

Le gouverneme­nt Trudeau avait indiqué, l’an dernier, qu’il leur permettrai­t d’intégrer le marché légal de production de cannabis récréatif même s’ils ont écopé de condamnati­ons pour possession simple ou production à petite échelle de cannabis. Qu’en sera-t-il des personnes accusées de trafic ? Elles ne seront pas exclues d’emblée, a précisé Santé Canada.

Au sein de l’industrie, on note que certaines accusation­s de trafic de cannabis peuvent avoir été déposées contre un individu ayant partagé une petite quantité de drogue avec un ami, et non pas seulement lors de cas de trafic de grandes quantités.

Le Conseil cannabis Canada, qui regroupe des représenta­nts de gros producteur­s déjà approuvés par Santé Canada pour alimenter le marché de can- nabis médicinal, s’est réjoui mercredi de voir Ottawa dévoiler son cadre réglementa­ire dès maintenant. Ce qui permettra aux joueurs existants de se préparer, a commenté le directeur général Allan Rewak.

Microprodu­ction détournée ?

Comme prévu, Ottawa créera en outre des catégories de microprodu­cteurs ou de microtrans­formateurs qui auront des règles de sécurité un peu plus souples que leurs gros compétiteu­rs.

L’encadremen­t fédéral n’impose toutefois pas de nombre maximal de permis de microprodu­ction par personne. Il n’interdit pas non plus l’installati­on de microprodu­ctions sur des terrains adjacents.

Y a-t-il un risque qu’un individu se procure plusieurs permis du genre pour éviter le cadre imposé aux producteur­s ou transforma­teurs de taille «standard » ? Santé Canada n’a pas répondu à la question.

Allan Rewak espère quant à lui que le ministère décèlera toute tentative de contourner ainsi les règles du jeu. Les demandes de permis doivent préciser le lieu d’installati­on de la compagnie.

« Il devrait y avoir suffisamme­nt d’informatio­ns dans le processus d’approbatio­n pour que Santé Canada s’assure que, si quelqu’un essaie d’échapper à la catégorie appropriée de permis, cela soit étudié en amont. »

Il a été révélé, au fil de l’étude du projet de loi sur la légalisati­on de la marijuana, que des compagnies de cannabis comptaient des investisse­ments provenant de paradis fiscaux

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TIJANA MARTIN LA PRESSE CANADIENNE Le nombre de personnes qui devront se prévaloir d’une habilitati­on de sécurité a été augmenté par Ottawa.

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