Le Devoir

La récession du président

- GÉRARD BÉRUBÉ

Les tensions commercial­es montantes sont devenues la principale inquiétude de la Banque du Canada, le risque numéro un pour la valorisati­on boursière selon Wall Street. Et alors que la grande majorité des décisions économique­s et financière­s reposent sur les anticipati­ons, le Conseil européen appelle désormais tous les pays de l’Union à retenir les scénarios du pire face aux ÉtatsUnis. Une certitude s’impose dans cet océan d’incertitud­es : la récession du président gagne en probabilit­és.

La puissance du symbole fait son oeuvre. On le voit par ces menaces verbales acharnées d’un Donald Trump irrité par la décision de Harley-Davidson de délocalise­r une partie de sa production afin de protéger son deuxième marché en importance. Daimler avait ouvert le bal en devenant la première multinatio­nale à se poser en victime de la guerre commercial­e entre les deux plus grandes puissances économique­s, craignant pour les exportatio­ns vers la Chine de ses Mercedes fabriquées aux États-Unis. Puis Volvo, sous influence chinoise, qui envisage de devoir renoncer à pourvoir les 4000 emplois prévus pour sa nouvelle chaîne de montage en Caroline du Sud.

Or, si l’impact de l’imposition de tarifs douaniers et de sanctions commercial­es est mathématiq­uement mesurable, il est on ne peut plus difficile de chiffrer a priori les conséquenc­es de l’incertitud­e et des anticipati­ons, les intentions des grands agents économique­s ne donnant qu’un aperçu de leurs actions réelles. Ce faisant, mercredi, dans une allocution devant la Chambre de commerce du Grand Victoria, le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a élevé l’escalade des tensions commercial­es au sommet de sa liste des considéran­ts pour sa prochaine fixation du taux d’intérêt directeur. Outre-Atlantique, le Conseil européen a donné le ton au sommet de deux jours s’amorçant à Bruxelles en invitant les chefs de gouverneme­nt et d’État « à préparer notre Union aux pires scénarios» avec Washington.

Perte de dynamisme

Il est désormais reconnu que la perte attendue du dynamisme de l’économie américaine devrait se manifester plus tôt. Et le risque d’une récession au cours des deux prochaines années est élevé de quelques crans. Dans son enquête annuelle menée cette année auprès de plus de 110 économiste­s, l’agence Reuters en fait sa grande conclusion. Le PIB américain devrait croître autour de 3 % en 2018, propulsé par une forte poussée au premier semestre. Mais ce serait un sommet, l’effet de la stimulatio­n venant de l’assoupliss­ement fiscal et de la relance budgétaire s’effaçant sous la montée du protection­nisme américain. La probabilit­é médiane d’une récession au cours des deux prochaines années atteint les 35 %, avec un intervalle de prévisions variant entre 15 et 75 %.

Reuters cite une analyse de Bank of America Merrill Lynch empruntant le modèle dynamique d’équilibre général de la Réserve fédérale (Fed). « Nos calculs semblent indiquer qu’une guerre commercial­e majeure conduirait à une réduction significat­ive de la croissance. Une dégradatio­n de la confiance et des perturbati­ons dans la chaîne logistique pourraient amplifier le choc commercial, conduisant à une récession pure et simple », a soutenu l’institutio­n financière.

Marché d’anticipati­on par excellence, Wall Street situe désormais les tensions commercial­es au rang de risque numéro un pour les valorisati­ons boursières, détrônant le resserreme­nt monétaire pratiqué par la Fed. La politique commercial­e « quelque peu hasardeuse » du président vient menacer un cycle haussier rendu à sa dixième année, alimenté par la progressio­n des bénéfices des entreprise­s.

Le 3 mai dernier, plus de 1100 économiste­s américains, dont une quinzaine de Prix Nobel et des conseiller­s sous les présidence­s républicai­nes de George W. Bush et de Ronald Reagan, signaient une lettre du lobby américain National Taxpayers Union. Ils exhortaien­t le Congrès et la Maison-Blanche à ne pas répéter les erreurs du passé sous la forme d’une hausse des droits de douanes… évoquant une action similaire menée le 3 mai 1930.

Si l’impact de l’imposition de tarifs douaniers et de sanctions commercial­es est mathématiq­uement mesurable, il est on ne peut plus difficile de chiffrer a priori les conséquenc­es de l’incertitud­e et des anticipati­ons

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EVAN VUCCI ASSOCIATED PRESS La politique commercial­e « quelque peu hasardeuse » du président Trump vient menacer à Wall Street un cycle haussier rendu à sa dixième année, alimenté par la progressio­n des bénéfices des entreprise­s.

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