La loi des hommes s’applique aussi aux ecclésiastiques
La condamnation à un an de réclusion d’un archevêque australien, reconnu coupable d’avoir caché des agressions sexuelles sur mineurs, pourrait créer un précédent et encourager d’autres victimes à travers le monde à entamer des procédures criminelles, estiment des experts.
Dans les années 1970, l’archevêque d’Adélaïde, Philip Wilson, a dissimulé des agressions pédophiles commises par le prêtre Jim Fletcher en s’abstenant de dénoncer les accusations portées contre ce dernier.
La sentence tombée mardi fait de lui l’un des ecclésiastiques les plus haut placés de l’Église catholique à être jugé coupable dans un tel dossier. L’homme de 67 ans devra attendre le 14 août pour savoir s’il peut purger sa peine au domicile d’un proche.
Aux yeux de Louis Rousseau, professeur au département de Sciences des religions à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le tribunal de Newcastle vient de faire un geste que beaucoup de pays occidentaux pourront imiter. « Si l’Australie peut reconnaître la responsabilité criminelle d’un haut placé de l’Église qui n’a pas dénoncé des agresseurs, d’autres pays pourront aussi le faire. Cette affaire sera invoquée en exemple et ça va peser dans la balance lors de procès », juge-t-il.
Les responsables religieux ne pourront ainsi plus « s’en tirer à coup d’excuses et de compensations financières », selon lui. « Cacher un crime, c’est un crime, après tout. »
L’avocat Pierre Boivin, du cabinet Kugler Kandestin, abonde dans le même sens. « C’est important comme jugement, ça envoie clairement comme message que personne n’est au-dessus de la loi, pas même l’Église», dit-il. Pour celui qui a déjà mené plusieurs actions collectives contre des prêtres accusés d’agressions sexuelles sur des mineurs au Québec, les procédures au criminel dans de telles affaires seront désormais plus fréquentes.
Actuellement, il est assez rare de voir un homme d’Église — impliqué de près ou de loin dans une affaire de pédophilie — écoper d’une telle sentence, les procédures se faisant surtout au civil.
« Il faut savoir que ça prend souvent des décennies à une victime pour faire le lien entre des séquelles rencontrées dans sa vie et les agressions sexuelles subies dans son enfance, explique Me Boivin. Quand la victime s’adresse à la justice, son agresseur, qui était plus vieux, est généralement déjà décédé. Ce sont alors les institutions religieuses au courant de la situation qu’elle va viser. »
Au Québec, entre autres, plusieurs actions collectives ont été lancées depuis le début des années 2000 contre des congrégations religieuses. Les victimes estiment que ces dernières n’ont jamais fait le nécessaire pour punir les prêtres coupables d’agressions sexuelles, ni même empêcher que cela se reproduise.
Plusieurs congrégations religieuses ont ainsi fait faillite à travers le monde, condamnées à payer des millions de dollars d’indemnités aux victimes.
Changer les mentalités
Mais pour Alain Bouchard, chargé de cours à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, condamner sévèrement un geste commis il y a plusieurs dizaines d’années n’est pas suffisant. « C’est l’institution religieuse, son fonctionnement et sa culture qui doivent surtout changer », avance-t-il.
Il rappelle que le clergé s’est toujours considéré comme étant apte à gérer luimême les délits commis par ses membres. Plutôt que de se référer à la justice et de risquer de mettre la réputation de l’Église en question, il était plus simple de taire une histoire en transférant un prêtre délinquant d’une paroisse à une autre. « Mais ça ne fait que déplacer le problème », fait-il remarquer.
M. Bouchard note toutefois un changement de mentalité dans le milieu catholique, surtout depuis l’arrivée du pape François. « On applique de plus en plus une tolérance zéro, c’est-à-dire qu’on vise une politique de transparence », explique le chargé de cours, rappelant la récente démission de 34 évêques chiliens dans la foulée d’un autre scandale de pédophilie.
L’Église catholique écorchée
La condamnation de l’archevêque Philip Wilson aura certainement des répercussions dans l’opinion publique et surtout parmi les personnes catholiques, note Alain Bouchard. «Alors que les scandales d’agressions sur mineurs impliquant des prêtres se multiplient depuis les années 2000, on voit qu’au Canada, et encore plus au Québec, le nombre de personnes qui s’identifiaient à une forme de catholicisme prennent leurs distances pour se considérer plutôt comme sans appartenance religieuse. »