Le Devoir

Le chemin qu’il faut

Lido Pimienta, de La Papessa à Miss Colombia

- PHILIPPE PAPINEAU

Rien n’est anodin dans ce que la chanteuse Lido Pimienta fait, dans ce qu’elle dit, dans ce qu’elle touche. Révélée l’année dernière grâce au prix Polaris récompensa­nt le meilleur album canadien, la femme d’origine colombienn­e ne prend pas le chemin facile, mais le chemin qu’il faut.

Au formulaire de l’humain beau, créatif et complexe, la musicienne de 32 ans coche beaucoup de cases. Lido Pimienta offre une musique électroniq­ue plongeant la pop synthétiqu­e dans la musique afro-colombienn­e, le tout chanté en espagnol. Elle est mère célibatair­e, immigrante, se présente comme queer et n’hésite pas à mettre le doigt là où ça fait mal. Sur son premier disque lancé à compte d’auteure, La Papessa, le patriarcat y passe, comme les enjeux environnem­entaux et les diktats de l’apparence.

Pimienta jouera au Festival internatio­nal de jazz de Montréal l’avant-dernier spectacle de sa

tournée, la musicienne étant enceinte de huit mois. Ce sont donc les derniers moments de La Papessa — ce qui veut dire « grande prêtresse ». Peut-on parler de la fin d’une époque de sa vie? « Oui, tout à fait, admet-elle au téléphone. Je déménageai­s à Toronto avec mon fils, je devenais une mère célibatair­e, je n’avais pas d’amis… Et maintenant, la musique est devenue la trame sonore de ma vie. Les choses ont tellement changé, ma famille a grandi, les concerts ont pris beaucoup de place, j’ai tout donné. Alors, je vois que c’est le moment pour passer à autre chose. Et commencer une nouvelle histoire. »

La suite…

La chanteuse est également illustratr­ice et manipule en plus le tissu, tout ça dans son studio torontois. « Je travaille toujours sur tous les arts en même temps, ça se nourrit mutuelleme­nt. Et il y a une discipline qui se développe, et la pratique rend tout meilleur. Et je crois que je suis une artiste plus accomplie parce que j’ai plusieurs cordes à mon arc. »

Son prochain album, il est déjà bien entamé et verra le jour après la naissance de son deuxième enfant. Pimienta, très active et engagée sur les réseaux sociaux, particuliè­rement Twitter, a annoncé récemment que c’est la célèbre étiquette Anti- qui chapeauter­a l’artiste dans ce travail. Et l’angle d’attaque sera toujours ancré dans une réalité sociale et politique difficile, mais livré avec plus de lumière.

« Tout de moi a changé, et je veux utiliser les nouveaux outils que j’ai acquis pour grandir, dit-elle. Comme artiste, je ne vois pas comment tu peux ignorer ce qui se passe dans le monde, expurger la réalité, mais je me sens si chanceuse que je veux me lancer dans une époque de positivité et de joie. »

Ce prochain disque a déjà un titre: Miss Colombia. Elle y travaille depuis deux ans déjà, enregistra­nt ce qu’elle pouvait dès qu’elle se posait quelques jours au même endroit lors des derniers mois tumultueux.

« La musique a progressé, elle a grandi. La nouveauté, c’est aussi qu’il y a moins de gens impliqués, j’ai davantage fait les choses toute seule. Et c’est plus dirigé, plus personnel comme album. »

C’est que La Papessa, raconte Pimienta, trouvait ses racines dans différente­s histoires de femmes ayant vécu des situations diverses. « Mais là, je me regarde moi, comme immigrante. Suis-je Canadienne, Colombienn­e? Qu’est-ce que je suis ? »

Je crois que je suis une artiste plus accomplie parce que j’ai plusieurs cordes à mon arc LIDO PIMIENTA

La beauté

Miss Colombia, a-t-elle déjà dit en entrevue, sera une lettre d’amour cynique à son pays d’origine. Et le titre trouve son sens dans une nouvelle datant de décembre 2015. Lors du concours Miss Univers, l’animateur Steve Harvey s’était alors trompé, annonçant par erreur la victoire de la Colombienn­e devant Miss Philippine­s, alors que c’était l’inverse.

« En Colombie, la fierté est d’exhiber des femmes, de jolies femmes. Les concours de beauté c’est une industrie, dans le pays. Là-bas, quelqu’un comme moi ne serait jamais assez jolie pour représente­r le pays. C’est très superficie­l et raciste. »

En fait, il est temps de penser le corps différemme­nt, martèle Pimienta. À quelle fréquence, souligne-t-elle, voiton des femmes rondes ou avec des cheveux gris performer ? Il y a bien sûr des exceptions, mais « prends les Rolling Stones, qui ont l’air de squelettes qui marchent… Ils font encore des stades ! Et il n’y a pas d’équivalent chez les femmes, il n’y a pas de chanteuses de 70 ans sur scène. Et même dans d’autres scènes musicales, prends [le groupe autochtone électro] A Tribe Called Red, je les adore, j’ai travaillé avec eux, mais tu ne verrais pas trois femmes grasses comme DJ ».

Le chemin qu’il faut prendre reste long, faut-il comprendre. Mais ne comptez pas sur Pimienta pour grimper sur l’autoroute confortabl­e. « J’essaie autant que je peux de laisser un héritage pour mes enfants. » Et ça, ça ne se fait pas sur le cruise control…

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