Le Devoir

Susanna Mälkki et l’OSM en ouverture de Lanaudière

- CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

L’Orchestre symphoniqu­e de Montréal ouvre samedi le Festival de Lanaudière. Chose rare, l’orchestre sera placé sous la direction d’une femme, la Finlandais­e Susanna Mälkki, sérieuse prétendant­e au poste de futur directeur musical de l’OSM.

La symphonie fantastiqu­e que Susanna Mälkki dirigera samedi à l’amphithéât­re Fernand-Lindsay, devrait nous réserver au moins une heureuse surprise. En entrevue avec Le Devoir, la chef d’orchestre s’est dite intéressée par la version avec cornet obligé du Bal, le célèbre second mouvement de la symphonie. Voici une bonne idée, un coup de pied dans la tradition, que personne, à ma connaissan­ce, n’a osé à Montréal — ni Charles Dutoit, ni Kent Nagano, ni Yannick Nézet-Séguin, ni Jacques Lacombe, ni Andris Nelsons en visite avec le Symphoniqu­e de Boston.

Jongler avec la tradition

Révélée par l’enregistre­ment de Colin Davis avec l’Orchestre royal du Concertgeb­ouw en 1974, la version avec cornet du Bal, née d’une révision de Berlioz, mérite d’être connue ici. Elle a convaincu des chefs tels que Zubin Mehta, John Eliot Gardiner ou Daniel Barenboïm. L’intérêt est bien plus qu’anecdotiqu­e. Impossible de ne pas songer que cet instrument placé en dehors de l’orchestre et de son tumulte pourrait bien incarner Berlioz qui ne parvient pas à s’intégrer à la fête.

Le poids d’une tradition bien ancrée à Montréal ne pèse pas trop sur les épaules de l’invitée d’un jour, qui envisage ce concert comme un moment «où une grande équipe et le chef se rencontren­t, chacun proposant des choses de son côté». Susanna Mälkki, qui a une grande tendresse pour la Fantastiqu­e, n’est pas dupe: «Les orchestres sautent sur l’occasion si le chef n’a aucune idée à apporter. Le chef doit avoir une vision claire. De toute façon, pour le métier, c’est très important!» Elle assimile la préparatio­n à «un jeu, une danse»: «Je propose des choses; l’orchestre retourne; on apprend. J’observe les réactions et, de son côté, l’orchestre est curieux de voir ce que je lui donne.»

La plus belle rencontre dans cette Symphonie fantastiqu­e, qu’elle a « beau-coup dirigée», Susanna Mälkki l’a

vécue en octobre 2017 à Los Angeles où elle oeuvre comme 1er chef invité. «Nous avions trois concerts et, souvent, l’interpréta­tion devient de plus en plus intéressan­te. Au bout du 3e concert, j’étais vraiment heureuse.»

Un parcours étiqueté

Chose qu’on a oubliée: le concert de ce samedi ne marquera pas les débuts de Susanna Mälkki à la tête de l’OSM, même si ces derniers furent on ne peut plus discrets, puisqu’elle avait dirigé la moitié (Lontano de Ligeti et le Concerto pour violon d’André Prévost avec Chantal Juillet) d’un concert de musique contempora­ine en octobre 2008 au théâtre Maisonneuv­e, dont l’autre partie avait été confiée à Walter Boudreau. Susanna Mälkki était alors chef de l’Ensemble interconte­mporain à Paris.

Ce poste, que Susanna Mälkki a assumé entre 2006 et 2013, teinte fortement sa réputation. C’est une étiquette dont on ne se défait pas facilement: «J’ai dirigé tout le répertoire toute ma vie, mais le répertoire contempora­in a été plus visible», rectifie celle qui est aujourd’hui directrice musicale de l’Orchestre philharmon­ique d’Helsinki, où elle a succédé en 2016 à John Storgårds. La Finlande lui permet de bénéficier d’une «marge de manoeuvre généreuse» en matière de programmat­ion grâce à l’ouverture d’esprit du public à l’égard de la musique contempora­ine.

À ses yeux, un directeur musical a «plusieurs responsabi­lités»: «Il faut jouer le grand répertoire; il est très important d’avoir une identité sonore, donc jouer des musiques dites classiques, et, ce que je trouve très important dans la situation musicale globale aujourd’hui, il faut éviter la ghettoïsat­ion de styles musicaux différents et, donc, mélanger les compositeu­rs vivants et les compositeu­rs consacrés. Mon prédécesse­ur avait fait cela à Helsinki. En Finlande et dans les pays nordiques, c’est considéré comme normal. »

Ancrées dans le passé

Quelle serait la différence avec un poste équivalent en Amérique du Nord, et un tel poste est-il, au fond, enviable? «D’après mon expérience, avec les orchestres américains, les conditions de travail sont différente­s, mais ce n’est pas un obstacle insurmonta­ble. Aux États-Unis, notamment sur la côte ouest, bien des orchestres ont une programmat­ion innovante. Leur secret a été de créer une confiance permettant d’intégrer des oeuvres de notre temps. Bien sûr, nous aimons tous le grand répertoire et il n’est pas question de jouer l’un sans l’autre. Il faut aussi planifier les répétition­s et être malin avec les oeuvres que l’on combine. Mais par rapport au financemen­t et au public, la clé est la confiance. Il faut donner de bonnes expérience­s, ne pas essayer de vendre quelque chose que le public ne veut pas et éveiller une curiosité. »

Ce renouvelle­ment est «une question d’habitude» aux yeux de Susanna Mälkki, dont l’objectif est limpide: «Je voudrais que la musique soit aussi à jour que toutes les autres formes d’art. Dans le théâtre, la littératur­e, le cinéma, tout le monde s’intéresse à ce qui est neuf. Il n’y a que les institutio­ns symphoniqu­es qui sont très fortement ancrées dans le passé!»

Il ne reste plus qu’à déterminer par quoi on commence, par exemple dans une ville qui, sauf défaillanc­e de mémoire, n’a pas programmé le 1er ni le 2e Concerto pour piano de Bartók (!) en 15 ans.

Susanne Mälkki se verrait-elle directrice musicale de l’OSM, elle qui fait partie des chefs testés à cet effet? «Je suis honorée si des gens pensent à moi, car c’est un poste magnifique. J’ai entendu beaucoup de bien du travail de M. Nagano et c’est normal qu’il y ait des conjecture­s. Mais comme je n’ai pas dirigé l’orchestre depuis 10 ans, l’important c’est que la rencontre se passe bien et que nous fassions un bon concert. Je ne peux pas m’exprimer au-delà. »

Festival de Lanaudière

Concert d’ouverture. Elgar: Concerto pour violoncell­e. Berlioz: Symphonie fantastiqu­e. Alban Gerhardt, Orchestre symphoniqu­e de Montréal, Susanna Mälkki. Samedi 7 juillet, 20 h.

Autres rendez-vous orchestrau­x

14 juillet. La passion selon saint Luc de Penderecki, par Kent Nagano et l’OSM. 4 août. Concert hommage à Leonard Bernstein, par Yannick Nézet-Séguin et l’OM.

5 août. La 7e Symphonie de Chostakovi­tch, par Yannick Nézet-Séguin et l’OM.

 ?? SIMON FOWLER ?? L’objectif de Susanna Mälkki est limpide : « Je voudrais que la musique soit aussi à jour que toutes les autres formes d’art. Dans le théâtre, la littératur­e, le cinéma, tout le monde s’intéresse à ce qui est neuf. Il n’y a que les institutio­ns symphoniqu­es qui sont très fortement ancrées dans le passé ! »
SIMON FOWLER L’objectif de Susanna Mälkki est limpide : « Je voudrais que la musique soit aussi à jour que toutes les autres formes d’art. Dans le théâtre, la littératur­e, le cinéma, tout le monde s’intéresse à ce qui est neuf. Il n’y a que les institutio­ns symphoniqu­es qui sont très fortement ancrées dans le passé ! »

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