Le Devoir

Un pas (de danse) dans la bonne direction

Femi Kuti & The Positive Force inaugurero­nt jeudi le Festival internatio­nal Nuits d’Afrique

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

L’aîné des fils du regretté père de l’afrobeat Fela Anikulapo Kuti s’embarque pour une nouvelle tournée mondiale qui le mènera au MTelus jeudi soir pour inaugurer le 32e Festival internatio­nal Nuits d’Afrique de Montréal. Mais en ce moment, il n’a pas la tête à faire ses valises. Notre conversati­on est chaotique: ça s’anime ferme au bout du fil, on croit reconnaîtr­e la voix de son gérant qui règle des détails de dernière minute. On décèle aussi une certaine nervosité dans la voix, d’ordinaire douce même lorsque ses textes sont vindicatif­s, de l’auteur, compositeu­r, chanteur et saxophonis­te Femi Kuti. Et pour cause: dans quelques minutes, il sera l’hôte d’Emmanuel Macron.

Pour le président de la République française, cette visite survenue mardi dernier à Lagos, capitale du Nigeria, lui donnait l’occasion d’annoncer en grande pompe la Saison des cultures africaines qui se tiendra en France en 2020. Il s’agissait d’une des dernières escales de son bref séjour sur le continent, après avoir pris part au sommet de l’Union africaine en Mauritanie le week-end dernier.

La mythique The Shrine

Or, pour le Nigeria, cette visite revêt une importance symbolique particuliè­re: dans quelques minutes, Emmanuel Macron deviendra le tout premier chef d’État à visiter la mythique The Shrine, cette boîte de nuit et salle de concert fondée en 1970 par Fela Kuti. Il en avait fait son quartier général, la base de son activisme et, surtout, le laboratoir­e où se sont unis le funk, le high-life, le jazz et les rythmes traditionn­els pour devenir l’afrobeat. En 1977, la salle originale fut incendiée, tout comme sa maison, son studio et sa clinique populaire, par les militaires après la parution de l’album coup-de-poing Zombie, qui visait justement le pouvoir et sa branche armée. Sa propre mère, l’activiste Funmilayo Ransome-Kuti, fut même défenestré­e lors de l’attaque ; elle décédera quelques semaines plus tard, à l’âge de 77 ans.

Reconstrui­t et rebaptisé New Afrika Shrine, l’établissem­ent culturel est aujourd’hui administré par Femi, qui donnera dans quelques instants une performanc­e pour le président français. «Si je crois que j’arriverai à faire danser le président Macron? Ça, on verra bien! Il y aura de la musique, mais aussi des discours, des rencontres, tout peut arriver!» lance Femi Kuti en rigolant. La question semble l’avoir détendu un brin, en cette journée hautement protocolai­re — pour la petite histoire, oui, Macron a dansé, sans veston ni cravate. Personne, ni même les puissants, ne peut résister au pouvoir de l’afrobeat.

« Pour nous, la visite du président Macron est très importante, ajoute Femi Kuti. C’est un peu le signe d’un avenir meilleur pour l’Afrique, pour le Shrine, pour tout ce pourquoi on se bat, la lutte contre la corruption… C’est aussi l’occasion pour nous de montrer au monde la richesse de notre culture. Tout ça, c’est un pas dans la bonne direction. »

Femi Kuti ne ratera sans doute pas l’occasion de discuter de politique avec le président. Chez les Kuti, musique rime invariable­ment avec militantis­me. Et puis, après tout, «je crois bien que le président connaît notre musique», dit Femi Kuti. La famille Kuti entretient depuis longtemps des liens privilégié­s avec la France: c’est là que le père de Femi a lancé sa première tournée européenne, au début des années 1980. C’est aussi à Paris que Femi a enregistré One People One World, son plus récent album, paru en février dernier sur l’étiquette Knitting Factory Records.

« Mon meilleur album »

De l’afrobeat pur jus jusque dans le choix des titres: Africa Will Be Great Again, Best to Live on the Good Side, Equal Opportunit­y, Dem Militarize Democracy… « Mon meilleur album en carrière, assure le musicien. C’est grâce à mon âge, j’ai 56 ans», soit deux années de moins que son père le jour de son décès en 1997. «C’est le meilleur grâce à l’expérience que j’ai acquise. Ce disque représente qui je suis à ce moment de ma vie. Je crois que mon message et ma manière d’écrire les chansons sont plus matures aujourd’hui. »

Sans parler d’un retour aux sources, soulignons tout de même dans la facture musicale de ce bon album une forme d’exploratio­n des différente­s influences musicales qui ont façonné l’afrobeat, alors que chaque chanson semble avoir sa couleur plus distincte, tantôt plus funk, tantôt pour R&B, tantôt plus reggae, et toujours en rendant hommage aux musiques populaires de danse d’Afrique. Traditionn­el, en ce sens: Femi ne cède pas au chant des sirènes du rap, phénomène global et nouveau mode d’expression des jeunes musiciens du Nigeria. «Leurs textes me plaisent; j’aimerais seulement qu’ils puissent apprendre à jouer de leurs propres instrument­s…» commente Femi Kuti, qui fut l’un des juges de la troisième saison de la populaire téléréalit­é Nigerian Idol.

Sur scène au MTelus jeudi, Femi sera accompagné des douze musiciens de son orchestre Positive Force. Et vous danserez comme un président.

 ?? ASSOCIATED PRESS ?? Emmanuel Macron a passé la soirée au New Afrika Shrine, une salle de concert à Lagos, capitale économique du Nigeria. La plus grande ville d’Afrique est aussi un haut lieu de l’afrobeat contestata­ire de l’icône nigériane Fela Kuti, dont le fils Femi (à...
ASSOCIATED PRESS Emmanuel Macron a passé la soirée au New Afrika Shrine, une salle de concert à Lagos, capitale économique du Nigeria. La plus grande ville d’Afrique est aussi un haut lieu de l’afrobeat contestata­ire de l’icône nigériane Fela Kuti, dont le fils Femi (à...

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