Le Devoir

Sans climatisat­ion, point de salut ?

Des solutions existent pour diminuer la chaleur des bâtiments et des espaces urbains

- ANDRÉANNE CHEVALIER LE DEVOIR

Y a-t-il de la fraîcheur — sans climatisat­ion — au bout de la canicule ? Un épisode de chaleur accablante vient de traverser le Québec, précipitan­t la mort de plus de 50 personnes jusqu’à maintenant. Même si la vague des températur­es élevées s’apaise, des indicateur­s montrent que le nombre de jours où le mercure montera au-dessus de 30 degrés est appelé à croître*. Comment rafraîchir nos espaces, intérieurs et extérieurs, sans avoir recours à la climatisat­ion ? Ma climatisat­ion a fait défaut. J’ai essayé de la faire réparer, mais les réparateur­s sont complèteme­nt débordés! J’ai essayé de mettre en pratique ce que je pensais être des recettes, pas nécessaire­ment infaillibl­es, mais qui allaient permettre de ne pas trop souffrir. Ça ne marche pas très bien », concède Denis Boyer, d’Écohabitat­ion, soulignant la situation particuliè­re des derniers jours.

Il est toutefois possible d’agir en respectant le principe de base visant à empêcher le soleil de pénétrer à l’intérieur et en évitant toutes les sources de chaleur, soutient le coordonnat­eur en efficacité énergétiqu­e.

M. Boyer fait observer qu’ouvrir les fenêtres n’est pas toujours la bonne solution. En fait, il y va d’un constat un peu fataliste : sans « machine », impossible (ou presque) d’avoir moins chaud. Si on n’utilise pas un climatiseu­r, le bon vieux ventilateu­r serait la solution la plus efficace.

Mais, « quand tout le monde démarre la climatisat­ion, ça contribue à augmenter d’au moins un degré et demi la températur­e générale en ville et à aggraver les effets de la canicule sur ceux qui n’ont pas les moyens de s’en prémunir », faisait remarquer Pierre Gosselin, médecin-conseil à l’INSPQ, au cours d’une entrevue accordée au Devoir il y a quelques étés.

L’architecte et professeur à l’Université de Montréal Daniel Pearl croit qu’il est important de trouver des solutions autres que la climatisat­ion pour réduire les effets de la chaleur dans les bâtiments. Parce que la climatisat­ion utilise beaucoup d’énergie — dont les coûts sont trop bas au Québec, selon lui — et parce qu’il est simplement plus efficace de bloquer le problème au départ que de le traiter une fois qu’il se présente, affirme-t-il.

Des options

La première stratégie pour contrer les effets de la chaleur dans les bâtiments consiste à protéger les fenêtres et les murs extérieurs. Un store extérieur, par exemple, est très efficace, selon M. Pearl. « Ça existe beaucoup en Europe et dans les pays très chauds. Un store intérieur est moins efficace parce que la chaleur traverse la fenêtre et reste dans la pièce, même si c’est partiellem­ent bloqué par les rideaux. »

Le store intérieur a une efficacité d’environ 30-35 %, affirme l’architecte, tandis que l’efficacité du store extérieur grimpe à 90 %. Des marquises ou auvents extérieurs, ou encore une meilleure isolation des murs et des fenêtres à triple vitrage sont d’autres options.

Une autre solution consiste à refroidir la masse thermique de la maison. Un système de tuyaux où circule un liquide (mélange d’eau et de glycol) refroidi par géothermie, par exemple, en fait partie.

Plaidoyer pour la verdure

La troisième solution proposée par l’architecte de la firme L’OEUF est la végétation. Daniel Pearl souligne qu’en plus d’être « très efficace », la verdure (arbres, toits verts, murs végétalisé­s) a l’avantage de procurer du plaisir et de permettre de développer la biophilie. Un toit vert peut réduire la températur­e de 5 à 10 degrés, avance-t-il.

Ces solutions doivent cependant être mises en place avant les épisodes caniculair­es, rappelle Daniel Boyer. « Mettre des plantes à l’extérieur devant ses fenêtres peut contribuer à réduire la températur­e de la maison, mais évidemment, si on est pris dans la canicule, il est trop tard! On ne peut pas faire pousser une plante en deux heures. Il faut prévoir. »

Pour la directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal, Véronique Fournier, la canicule qui a frappé le Québec ces derniers jours « nous dit qu’on a trop d’espaces minéralisé­s, donc asphaltés [dans nos villes], et pas assez de verdisseme­nt ou d’espaces naturalisé­s ». Elle fait elle aussi l’éloge de la verdure pour contrer les températur­es extrêmes.

Les arbres matures, ces «climatiseu­rs naturels », comportent plusieurs avantages. En plus de rafraîchir l’air, « ils vont avoir un impact sur la gestion des polluants atmosphéri­ques et permettre de créer des surfaces ombragées. Ils font aussi en sorte que les revêtement­s captent moins la chaleur », explique Mme Fournier.

Dans les cas où la plantation d’arbres n’est pas possible, d’autres options existent, comme le recours aux plantes grimpantes le long des murs ou des clôtures, ou l’installati­on de pergolas.

Depuis quelques années, « on va dans le bon sens [en ce qui concerne le verdisseme­nt] », reconnaît Emmanuel Rondia, responsabl­e campagnes Espaces verts et milieux naturels au Conseil régional de l’environnem­ent de Montréal (CREMTL). « Il y a une prise de conscience. On comprend les conséquenc­es qu’ont les îlots de chaleur, leur impact sur la santé. Maintenant, il faut que des mesures soient adoptées plus largement et que ça ne soit pas uniquement des projets-pilotes ou des initiative­s dans certains secteurs. Il faut que ça soit une approche globale. »

Les prochains sujets à aborder sont « la question de l’asphalte, la minéralisa­tion de nos espaces et, indirectem­ent, la question de la voiture à travers tout ça», indique de son côté Véronique Fournier.

Depuis 2015, le CREMTL coordonne la campagne ILEAU (Interventi­ons locales en environnem­ent et aménagemen­ts urbains), qui, en plus d’aborder l’enjeu des îlots de chaleur et de créer du verdisseme­nt, vise à relier le fleuve Saint-Laurent à la rivière des Prairies, dans l’est de Montréal, par une trame verte.

Un des projets développés cherche à relier les parcs de la promenade Bellerive et Thomas-Chapais. « On a réuni les propriétai­res majeurs dans le secteur pour réfléchir au trajet et aux aménagemen­ts à apporter, explique Emmanuel Rondia. Ça crée un mouvement plus intéressan­t et les gens se sentent engagés dans quelque chose de plus grand que de juste aménager leur propre terrain. »

Selon M. Rondia, créer un tel réseau d’espaces verts est plus efficace pour réduire les îlots de chaleur, en plus de « donner des leviers intéressan­ts pour convaincre certains propriétai­res ».

Appels à la solidarité

Pendant la canicule des derniers jours, les autorités publiques ont lancé plusieurs appels à la solidarité — veiller sur le bien-être de son voisin, particuliè­rement s’il fait partie des population­s jugées vulnérable­s. Un volet citoyen et participat­if fait d’ailleurs partie de la mission du Centre d’écologie urbaine de Montréal, dont les interventi­ons visent à créer des milieux de vie. Les projets de verdisseme­nt peuvent ainsi accomplir un double mandat : créer de la fraîcheur et du lien social.

« Je n’aurais pas la prétention de dire qu’il y a un lien direct dans des situations d’urgence, mais une ville où il y a plus de solidarité est plus résiliente lors des événements [comme la canicule], souligne Véronique Fournier. Plus de nature en ville, c’est une stratégie de prévention à la fois pour les épisodes de chaleur et pour la qualité de vie. » *Selon les données d’Ouranos, le Consortium sur la climatolog­ie régionale et l’adaptation aux changement­s climatique­s, le nombre de jours par année au dessus de 30 °C passera de 11 (médiane pour 1981 à 2010) à 30 (médiane pour 2041-2070) à Montréal et Laval, selon un scénario «modéré».

Quand tout le monde démarre la climatisat­ion, ça contribue à augmenter d’au moins un degré et demi la températur­e générale en ville et à aggraver les effets de la canicule sur ceux qui n’ont pas les moyens de s’en prémunir PIERRE GOSSELIN

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Les arbres matures, ces « climatiseu­rs naturels », comportent plusieurs avantages. En plus de rafraîchir l’air, « ils vont avoir un impact sur la gestion des polluants atmosphéri­ques et permettre de créer des surfaces ombragées, selon Véronique...

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