Le Devoir

La sale empreinte de Scott Pruitt

- GUY TAILLEFER

Il en aura mis du temps, Donald Trump, à se débarrasse­r de Scott Pruitt, son ministre de l’Environnem­ent, sali depuis des mois par une somme stupéfiant­e de conflits d’intérêts, d’allégation­s d’abus de pouvoir et d’histoires de dépenses éminemment déraisonna­bles faites aux frais des contribuab­les. Le zèle de croisé climatosce­ptique avec lequel il s’employait à défaire les avancées pourtant partielles de Barack Obama en matière environnem­entale l’aura mis à l’abri — jusqu’à jeudi après-midi.

On savait ses jours comptés depuis quelques semaines. L’analyse dominante veut que l’horizon des législativ­es de mi-mandat, en novembre, ait finalement eu raison de lui, alors que même des républicai­ns et des commentate­urs de Fox News commençaie­nt à le critiquer. M. Trump, un homme dont on sait qu’il a le sens éthique extrêmemen­t élastique, aura apparemmen­t calculé que cette élasticité avait des limites, s’agissant au demeurant d’éviter que l’accumulati­on d’écarts déontologi­ques dont son ministre était coupable ne contribue à mettre en évidence ceux qui pèsent sur sa propre personne présidenti­elle.

Y a-t-il jamais eu ministre capable de survivre aussi longtemps à autant de scandales ? Confirmé au Sénat en février 2017, il a rapidement commencé à faire tiquer en multiplian­t les dépenses inutiles ou exagérées : 43 000 $US pour sécuriser son bureau, achat en grand nombre de billets d’avion de première classe, triplement de son équipe de sécurité… Sans compter le recours douteux à ses pouvoirs discrétion­naires pour distribuer des augmentati­ons de salaires à des conseiller­s clés. Contre les employés qui ont osé se plaindre de sa conduite à la direction de l’Agence de protection de l’environnem­ent (EPA), il aurait appliqué des mesures de représaill­es. Autant d’errements, parmi d’autres, qui ont fait qu’il était sous le coup de pas moins d’une quinzaine d’enquêtes internes — dans une Washington où les dépenses inconsidér­ées n’ont pourtant pas l’habitude de gêner sa classe politique. L’erreur de cet ancien procureur général de l’Oklahoma aura peut-être tout simplement été de ne pas s’y prendre plus discrèteme­nt. Entendu qu’en réalité, M. Pruitt a été démissionn­é pour les mauvaises raisons. Son congédieme­nt n’a pas empêché M. Trump de louer son « travail fantastiqu­e ». Car plus dommageabl­e encore que sa mauvaise administra­tion aura été, pour la suite des choses, l’entreprise acharnée de démolition à laquelle il s’est livré contre l’EPA et les lois et règlements qui encadrent la protection de l’environnem­ent aux États-Unis. Sortie de l’Accord de Paris, abrogation du plan visant à fermer les centrales électrique­s au charbon, dilution des normes antipollut­ion imposées aux constructe­urs automobile­s… Les reculs dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique ne se comptent plus depuis un an. L’Agence de protection de l’environnem­ent est devenue un nid de lobbyistes vendus aux intérêts des industries chimique et pétrolière. Elle ne protège plus rien. Reflet d’un climat de travail exécrable, l’Agence a vu partir 700 de ses employés depuis avril 2017, dont 200 scientifiq­ues, une hémorragie qui est en train de rapetisser le ministère à ce qu’il était sous Ronald Reagan.

On dit que, dans les corridors de l’EPA, des employés ont applaudi jeudi à l’annonce du départ de M. Pruitt. Andrew Wheeler, le directeur adjoint qui le remplace sur une base intérimair­e, n’est pourtant ni moins zélé ni moins dangereux. Lobbyiste à Washington depuis 20 ans, il connaît la capitale comme le fond de sa poche. Il a déjà dit considérer le Groupe d’experts intergouve­rnemental des Nations unies sur l’évolution du climat (GIEC) comme un organisme « plus politique que scientifiq­ue ». Avec la bénédictio­n de M. Trump, il saura mieux manoeuvrer que M. Pruitt, si ça se trouve, pour parer l’opération de déréglemen­tation environnem­entale contre les contestati­ons judiciaire­s. M. Pruitt disparaît, son empreinte reste.

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