Le Devoir

Électricit­é québécoise et chaînes de blocs

La précipitat­ion pourrait entraîner des erreurs de parcours coûteuses

- Jean-Thomas Bernard Professeur invité au Départemen­t de science économique de l’Université d’Ottawa

Dans l’édition du Devoir du 9 juillet 2018, les professeur­s de droit de l’Université Laval Charlaine Bouchard et Christophe Krolik présentent des arguments en faveur de l’instaurati­on d’une stratégie québécoise pour les chaînes de blocs et l’intégratio­n de cette stratégie dans le plan de développem­ent d’Hydro-Québec. Je ne partage pas leur position sur ces deux sujets.

Considéron­s d’abord le besoin d’une stratégie propre au Québec pour l’accueil et l’expansion de l’usage des chaînes de blocs dans tous les domaines d’activité publique et privée. Les chaînes de blocs sont des outils de transactio­n entre des personnes qui y ont recours afin de réduire leurs coûts de transactio­n. Les cartes de crédit fournissen­t une illustrati­on: je peux utiliser ma carte VISA dans plusieurs pays, mais non la monnaie canadienne, qui doit être convertie en monnaie du pays visité ; cette conversion implique des coûts que les chaînes de blocs visent à réduire.

La baisse des coûts de transactio­n est un objectif partagé par l’ensemble de l’humanité et à cet égard, le Québec n’a pas de caractéris­tiques qui le distingue des autres sociétés. Ce n’est pas le cas de l’hydroélect­ricité, qui fournit près de 100 % de notre consommati­on d’électricit­é, alors que cette part n’est que de 8 % à l’échelle mondiale. La pénétratio­n d’une nouvelle technologi­e suit généraleme­nt une courbe en S, appelée courbe logistique, avec une pente plus ou moins abrupte. Il est encore trop tôt pour évaluer quelle sera la pente associée aux chaînes de blocs, puisque cette technologi­e est dans la phase de développem­ent et que la dimension réseau est très importante. La société québécoise pourra s’adapter comme elle a su le faire pour la téléphonie, la radiotélév­ision et l’informatiq­ue. La précipitat­ion pourrait entraîner des erreurs de parcours qui seraient coûteuses.

Surplus

Hydro-Québec dispose de surplus d’énergie, mais non de capacité pour satisfaire la pointe hivernale de la demande. Ce n’est pas la première fois qu’HydroQuébe­c a des surplus et dans les années antérieure­s, la société d’État les mettait en valeur par les marchés d’exportatio­n. L’arrivée massive du gaz de schiste a fait chuter les prix à l’exportatio­n. Les demandes des développeu­rs de chaînes de blocs et de cryptomonn­aies offrent une autre possibilit­é de valoriser ces surplus ; par contre, il y a une demande excédentai­re de leur part.

Hydro-Québec n’est pas tenue de satisfaire ce type de demande vu leur grande taille, et la vente aux enchères est l’instrument à privilégie­r pour rentabilis­er les surplus disponible­s tout en respectant les contrainte­s opérationn­elles de la société d’État. Il est bon de rappeler que les profits d’Hydro-Québec sont acheminés sous forme de dividendes à son unique actionnair­e, qui est le gouverneme­nt.

Hydro-Québec n’a pas à définir la progressio­n d’une nouvelle technologi­e au Québec, à moins que le gouverneme­nt lui en donne le mandat, comme ce fut le cas pour l’énergie éolienne. Je ne partage pas l’opinion des deux professeur­s sur « la capacité de nos moyens juridiques à assurer la sécurité de nos approvisio­nnements en électricit­é ». Cette responsabi­lité incombe ultimement au gouverneme­nt, qui définit les grandes orientatio­ns à suivre dans son énoncé de politique énergétiqu­e. D’ailleurs, la sécurité des approvisio­nnements a été un objectif primordial de tous les énoncés de politique énergétiqu­e depuis 30 ans.

Hydro-Québec a l’obligation de prévoir l’évolution de la demande attendue et les moyens pour la satisfaire, tout en respectant les objectifs retenus par le gouverneme­nt. Cet exercice est régulé par la Régie de l’énergie. Il y a eu des erreurs de prévision dans le passé et il y en aura encore parce que c’est de la nature même d’une prévision. Cependant, ces erreurs n’ont pas causé des interrupti­ons de service à cause de déficience­s des approvisio­nnements depuis la nationalis­ation de 1962. Le ton alarmiste des deux professeur­s n’est pas soutenu par les faits.

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