Le Devoir

À quoi sert le Conseil de la fédération ?

- KONRAD YAKABUSKI

C’était il y a 15 ans, lors d’une rencontre estivale avec ses homologues provinciau­x, que le premier ministre québécois de l’époque, Jean Charest, a convaincu ses pairs de souscrire à son idée de créer une instance permanente permettant aux provinces d’unir leurs forces pour faire face aux défis communs et au gouverneme­nt fédéral. C’est ainsi qu’est né le Conseil de la fédération, que l’ancien ministre québécois des Affaires intergouve­rnementale­s sous M. Charest, le constituti­onnaliste Benoît Pelletier, voyait comme une instance de « cogestion » et de « codécision » dans les domaines de la santé, du commerce interprovi­ncial et des relations internatio­nales. Le but souhaité était de préparer le terrain pour une éventuelle réforme de la Constituti­on canadienne, après les échecs des accords du lac Meech et de Charlottet­own.

Quinze ans plus tard, à la veille de la rencontre la semaine prochaine du Conseil de la fédération au Nouveau-Brunswick, force est de constater que la grande vision de M. Charest et de M. Pelletier ne s’est jamais réalisée. Surtout ces dernières années, le Conseil semble avoir fait l’objet d’un désintérêt total de la part de la plupart des premiers ministres, y compris celui du Québec. L’unité interprovi­nciale n’existe pas par les temps qui courent. L’idée d’un front commun des provinces est risible ; la plupart du temps, ces dernières sont à couteaux tirés, comme c’est le cas entre l’Alberta et la Colombie-Britanniqu­e autour de l’expansion de l’oléoduc TransMount­ain.

Même avant l’élection du nouveau gouverneme­nt progressis­te-conservate­ur de Doug Ford en Ontario, qui promet de défier le premier ministre Justin Trudeau sur plusieurs fronts, les provinces préféraien­t mener leurs batailles avec Ottawa sur une base individuel­le. Au plus grand plaisir du gouverneme­nt Trudeau, d’ailleurs, qui a pu diviser pour mieux régner lors des négociatio­ns sur le renouvelle­ment des ententes du financemen­t de la santé en 2016. Il en sera de même dans le dossier de la taxe sur le carbone.

Si l’ordre du jour de la réunion qui aura lieu du 18 au 20 juillet, au luxueux hôtel Algonquin, à Saint Andrews-by-theSea, au Nouveau-Brunswick, semble bien mince, la possibilit­é de résultats concrets émanant de cette rencontre semble plus lointaine encore. Les premiers ministres ont beau prétendre vouloir parler des échanges commerciau­x interprovi­nciaux, des stratégies contre les changement­s climatique­s ou de la péréquatio­n, leurs positions respective­s dans ces dossiers sont si éparpillée­s, voire diamétrale­ment opposées, que la rencontre de la semaine prochaine ne servira qu’à produire de belles images au bord de la mer.

On est loin d’une instance de travail dont le but est de faire avancer la fédération canadienne grâce à une meilleure collaborat­ion entre les provinces. Maintenant, chaque premier ministre se sert des réunions du Conseil pour montrer à ses propres électeurs en quoi il ou elle défend leurs intérêts devant ses pairs. Ces derniers sont plus souvent perçus comme adversaire­s plutôt que des amis.

La rencontre estivale de cette année s’annonce particuliè­rement improducti­ve. Le premier ministre de la Saskatchew­an, Scott Moe, veut que les chefs provinciau­x discutent de sa propositio­n de réforme du système de péréquatio­n, même si le gouverneme­nt fédéral vient tout juste de renouveler la formule actuelle jusqu’en 2024. Or, rien n’est coulé dans le béton, selon M. Moe, qui dit avoir l’appui d’autres premiers ministres provinciau­x (qu’il ne nomme pas) dans sa croisade. Selon la propositio­n « 50-50 » de M. Moe, la moitié des 19 milliards de dollars qu’Ottawa distribue chaque année entre les provinces moins nanties serait plutôt partagée entre toutes les provinces en fonction de leur population.

Pour le Québec, il en résulterai­t une baisse de 3,6 milliards de dollars sur les 11,7 milliards qu’il devrait recevoir cette année, un manque à gagner qui s’accroîtrai­t davantage à l’avenir, étant donné le rythme de croissance de la population dans l’ouest du pays. L’adoption d’une telle formule serait dévastatri­ce pour le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Îledu-Prince-Édouard, qui dépendent beaucoup plus de la péréquatio­n, toutes proportion­s gardées, que le Québec.

Certes, la propositio­n de M. Moe, telle que formulée, restera lettre morte tant que le Québec et les provinces de l’Atlantique s’y opposent. C’est le gouverneme­nt fédéral qui décide seul combien il dépense en péréquatio­n et comment il redistribu­e ces sommes parmi les provinces. Il le fait bien sûr en consultati­on avec les provinces, mais il n’est nullement obligé de suivre leurs opinions.

D’ailleurs, entre les revendicat­ions du Québec, qui veut que le programme actuel soit sensibleme­nt bonifié, et celles de M. Moe, qui veut que les sommes dédiées à la péréquatio­n en tant que telle soient coupées en deux, Ottawa peut affirmer avoir choisi la voie de la modération.

On voit difficilem­ent comment le Conseil de la fédération peut se relever de sa torpeur actuelle avec les premiers ministres comme M. Moe, M. Ford, et sans doute bientôt Jason Kenney en Alberta à la barre de leur province respective. La bonne idée de M. Charest a-t-elle fait son temps ?

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