Le Devoir

Montréal doit freiner de façon radicale son étalement urbain

- Luc-Normand Tellier Professeur émérite au Départemen­t d’études urbaines et touristiqu­es à l’ESG-UQAM

En cette période préélector­ale, la surenchère à laquelle les partis politiques québécois se livrent en matière de promesses d’expansion des infrastruc­tures de transport génératric­es d’étalement urbain n’a rien de rassurant. Compte tenu du lien évident entre étalement urbain, congestion et pollution, cela compromet la compétitiv­ité à moyen et long termes de la région métropolit­aine de Montréal par rapport à celles de Toronto et d’Ottawa.

Qui peut alors s’étonner qu’une compagnie comme Amazon ait manifesté un intérêt pour Ottawa et Toronto, mais aucunement pour Montréal ? Une ville congestion­née incapable de maîtriser son expansion est vouée à la marginalis­ation. L’étalement urbain observé dans la grande région de Montréal est lourd de conséquenc­es.

Actuelleme­nt, chaque jour, 1,3 million de véhicules franchisse­nt les ponts de l’île de Montréal. Or, si l’île de Montréal avait la densité de population actuelle de Vancouver, elle accueiller­ait 3 millions d’habitants au lieu des 1,7 million d’habitants actuels, ce qui réduirait radicaleme­nt ce nombre de véhicules.

La situation actuelle engendre des coûts considérab­les si l’on songe que, pour les déplacemen­ts domicile-travail, un véhicule venant sur l’île à partir de l’extérieur parcourt en moyenne 57 kilomètres par jour, tandis qu’un véhicule provenant de l’île ne parcourt en moyenne que 19 kilomètres. Il s’agit là d’un rapport de 1 à 3. Notons qu’en dix ans, de 1998 à 2008, la distance moyenne d’un déplacemen­t dans le Grand Montréal est passée de 6,3 à 6,8 km, pour une augmentati­on de 8 %.

Jusqu’à récemment, il était difficile de comparer avec exactitude l’étalement urbain de diverses zones métropolit­aines du fait qu’il n’existait aucune méthode permettant d’estimer mathématiq­uement les frontières de la ville centrale, de la première couronne et de la deuxième couronne d’une région métropolit­aine. J’ai récemment mis au point une méthode permettant de le faire, méthode qui a été appliquée aux cas de Montréal et de Toronto. Il ressort de cette applicatio­n les faits suivants.

Gaspillage d’espace

En 2016, la population de la région métropolit­aine de Toronto délimitée à l’aide de cette méthode représenta­it 138 % de la population de la région métropolit­aine correspond­ante de Montréal, alors que la densité de population de la région métropolit­aine de Toronto était égale à 177 % de la densité de population de la région métropolit­aine de Montréal. Cela révèle que la région métropolit­aine de Montréal est significat­ivement moins dense que celle de Toronto (la densité moyenne de celle de Montréal est de 746 habitants au kilomètre carré, comparativ­ement à 1323 hab./km2 dans le cas de Toronto).

En 2016, la superficie de la région métropolit­aine de Toronto délimitée à l’aide de la méthode était de 4271 km2, tandis que celle de la région métropolit­aine de Montréal était de 5510 km2, ce qui veut dire que la superficie de cette dernière excède de 29 % la superficie de la précédente, alors que la population de la région métropolit­aine de Toronto dépasse de 38 % celle de la région métropolit­aine de Montréal. Cela illustre à quel point la région de Montréal « gaspille » l’espace comparativ­ement à celle de Toronto.

Un indice simple de l’étalement urbain consiste à diviser la densité de la deuxième couronne par celle de la ville centrale. Selon ce calcul, en 2016, l’indice d’étalement était de 4,3 % à Montréal contre 10,8 % à Toronto. Le fait que l’indice d’étalement de Toronto était 2,5 fois plus élevé que celui de Montréal découle de ce que la deuxième couronne est considérab­lement plus densément peuplée à Toronto qu’à Montréal. En somme, l’aire métropolit­aine de Toronto est plus restreinte ; les densités y sont plus élevées et elles y varient moins du centre vers la périphérie que dans le cas de Montréal.

Cela tient, entre autres, au fait que l’Ontario a instauré, en 2005, une ceinture verte de 7200 km2 au nord de la région métropolit­aine de Toronto, ce qui force toute la zone métropolit­aine à se densifier, coincée qu’elle est entre, au sud, le lac Ontario et, au nord, la ceinture verte. Notons que l’instaurati­on d’une ceinture verte est une mesure infiniment plus radicale que l’établissem­ent de péages sur les ponts entourant l’île de Montréal que plusieurs proposent.

Grâce, entre autres, à l’instaurati­on de la ceinture verte torontoise, entre 2006 et 2016, l’indice d’étalement de Toronto a « diminué » de 2,91 %, alors que celui de Montréal a « augmenté » de 11 %. En matière d’aménagemen­t urbain, le courage est un ingrédient indispensa­ble, sans lequel une ville ne peut que péricliter.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR De 1998 à 2008, la distance moyenne d’un déplacemen­t dans le Grand Montréal est passée de 6,3 à 6,8 km, une augmentati­on de 8 %.

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