Récit de voyage
«La plus belle des mers est celle où l’on n’est pas encore allé», écrivait le poète turc Nazim Hikmet, résumant bien avec cette formule tout le charme que peuvent exercer les récits de voyage.
En 2010, Laurent Geslin et JeanArnault Dérens, deux journalistes français qui sillonnent depuis plusieurs années l’Europe de l’Est et le Caucase, se sont embarqués sur le Vetton, un voilier de dix-sept mètres qui devait les emporter le long des rives de l’Adriatique, de la mer Égée et de la mer Noire. Jean-Arnault Dérens, qui est également historien, a créé en 1998 Le Courrier des Balkans, un site d’information francophone qui traite de l’actualité des pays de l’Europe du Sud-Est dont il est aussi le rédacteur en chef.
Là où se mêlent les eaux. Des Balkans au Caucase, dans l’Europe des confins raconte ce périple lent au cours duquel les deux voyageurs ont pu prendre le pouls d’une région du monde vaste et complexe. Un espace habité par les minorités linguistiques et ethniques, marqué par l’histoire récente plus durement que d’autres régions de l’Europe.
Partis de Venise, ils ont fait escale à Trieste, fascinante ville-frontière où «la mémoire suinte comme de la graisse liquide », avant de longer les côtes de la Croatie, le Monténégro. Un itinéraire qui les mènera jusqu’au delta du Danube en Roumanie, « là où le fleuve et toutes les poussières de l’Europe viennent se mêler aux eaux de la mer», quelques mois plus tard.
Mais forcés d’abandonner à Istanbul le voilier qu’ils louaient, ils ont
choisi de poursuivre leur voyage par d’autres moyens, faisant ensuite le tour de la mer Noire, leurs pas les menant à Trabzon, en Géorgie et en Abkhazie, traversant en transbordeur en territoire russe à Sotchi puis en Ukraine, avant de mettre les pieds en Transnistrie et en Moldavie.
Partout, ils sont attentifs aux stigmates laissés par les conflits successifs qui ont secoué la région, ouvrent les livres d’histoire, multiplient les rencontres — impromptues ou officielles. Un défilé d’économies chancelantes et de crises démographiques souvent nées d’une émigration massive.
Dans ce récit vivant et bien documenté — même s’il n’est peut-être pas de la plus grande fraîcheur —, les deux auteurs nous livrent un état des lieux en forme de regard panoramique. «Comprendre où va aujourd’hui l’Europe demande d’embarquer à bord d’une histoire des confins: à la fois récit de voyage et reportage d’après guerres, où l’on croise aussi bien les spectres de Tito et d’Enver Hodja que les figures réelles de révolutionnaires non repentis ou de mafieux imaginatifs. »
À Trieste, en Italie, ancien port austro-hongrois, ils rendent visite à l’écrivain slovène Boris Pahor. À Cetinje, au Monténégro, l’achat d’un jambon de douze kilos devient un petit événement. Et à Athènes ou à Istanbul, ils font la rencontre de migrants qui piaffent de désespoir et d’impatience à la lisière de l’Europe.
«Un voyage n’est pas une partie de plaisir, nous rappellent-ils en secouant un peu les fantômes de Tito et d’Enver Hodja, c’est l’épreuve des pauvres qui doivent se rendre à moindre coût du lieu A au lieu B, dans un misérable marchroutka, que doublent avec mépris les Mercedes des riches, bien lavées, lustrées, étincelantes sous le soleil. »
Le livre raconte un périple lent au cours duquel les auteurs ont pu prendre le pouls d’une région du monde vaste et complexe. Un espace habité par les minorités linguistiques et ethniques, marqué par l’histoire récente plus durement que d’autres régions de l’Europe.