Au bout du matin martiniquais
Il arrive que l’avenir nous apparaisse tel un rêve. Peuplé d’idées qui, à moins de se décoller du présent, nous semblent irréalisables. Ce sont ces idées que poursuit Miguel Duplan dans L’indépendance des âmes, où il dépeint une Martinique luttant contre son aliénation.
En entrée de récit, on la trouve endormie: «L’île était radieuse, assise. Tranquille au milieu de l’océan. Du ciel, un point calme, comme une éternité.» Mais l’éveil est soudain, remué par des marées humaines qui revendiquent la tête du pouvoir. Celle de Jean-Baptiste Négri, Béké héritier du colonialisme français.
À la tête de la contestation se trouve Moïse M’adouba, «petit chef syndicaliste, nègre à poil roux, une moustache à la Staline séparant son visage en deux». Ses ambitions sont grandes, mais elles ne concernent que lui. Ainsi, au régime «colonialiste français, raciste et négrophobe» de Négri succède l’indépendance martiniquaise, sous la dictature de M’adouba.
À la manière de Cent ans de solitude, le temps s’étire sur six siècles où les personnages se répètent, M’adouba et Négri engendrant des lignées de fils du même nom. Le pouvoir et le temps se confondent et la population, «écoeurée par le prix de l’essence, de la boîte de petits pois, du pain et du papier-chiotte», attend sa délivrance.
Fier héritier d’Aimé Césaire, Duplan flirte avec le poème épique. On devine les vers dans sa prose rythmée, impressionniste, qui génère l’émotion plutôt que de la nommer. Même si l’approche est souvent époustouflante, elle égare parfois le récit dans la transe des mots.
Dans ce duel délétère entre ces personnages de pouvoir, L’indépendance des âmes fait surgir un rêve emmêlé de réel, où l’écrivain nous rappelle de ne rien tenir pour acquis, parce que les écrits ne sont que les récits du passé ou les fictions de l’avenir.