Le Devoir

Faire la guerre à la chaise

La sédentarit­é serait le facteur de risque le plus puissant pour prédire de graves problèmes de santé

- LAURIE NOREAU COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Au travail, dans la voiture ou à la maison, nous sommes toujours assis. Le corps humain n’étant pas conçu pour adopter cette position des heures durant, il en souffre immanquabl­ement. Comment renverser cette tendance vers l’inactivité?

«La sédentarit­é tue plus que le tabac», lance d’entrée de jeu JeanPierre Després, professeur au Départemen­t de kinésiolog­ie de la Faculté de médecine de l’Université Laval. Ce n’est pas pour rien que l’Organisati­on mondiale de la santé a récemment lancé un plan d’action mondial pour lutter contre ce fléau. La sédentarit­é serait le plus puissant facteur de risque pour prédire de graves problèmes de santé: le diabète, les maladies cardiovasc­ulaires, l’obésité et même certains cancers.

Regarder la télévision, lire un livre, jouer aux jeux vidéo ou conduire une voiture: autant de comporteme­nts qui nécessiten­t une très faible dépense énergétiqu­e et qui nous forcent à adopter la position assise.

Dans son ouvrage Lève-toi et marche paru plus tôt cette année, le physiothér­apeute Denis Fortier suggère de mener une guerre contre notre chaise, établie comme la source de tous nos maux, et pour laquelle nous avons insidieuse­ment développé une certaine dépendance.

Heureuseme­nt, certains milieux de travail misent sur la santé de leurs employés en offrant des postes de travail ajustables pour accomplir leur boulot en position debout ou encore en marchant sur des tapis roulants à très faible vitesse. Ces initiative­s restent rares et la grande majorité des travailleu­rs restent vissés à leur chaise pendant près de huit heures chaque jour.

« Nos environnem­ents sont construits pour minimiser notre dépense calorique. Tout est fait pour que l’on soit assis et confortabl­e. Il faut donc se motiver encore plus pour bouger», constate Jean-Philippe Chaput, professeur-chercheur au Départemen­t de pédiatrie à l’Université d’Ottawa.

Attention de ne pas confondre la sédentarit­é et l’inactivité physique. Si vous courez 30 minutes par jour, mais passez ensuite plusieurs heures consécutiv­es assis à votre bureau, les bienfaits reliés à l’activité physique tendent à s’éliminer et votre corps en prend pour son rhume. Ce sont des individus que les chercheurs qualifient de « active couch potato » . Il est donc possible d’atteindre la recommanda­tion de 150 minutes d’activité physique modérée par semaine tout en étant considérée comme une personne sédentaire.

Comment renverser la tendance ? En se levant régulièrem­ent de sa chaise de travail et en faisant des pauses régulières lors de longs déplacemen­ts en voiture. L’un des trucs du professeur Chaput: boire beaucoup d’eau, ce qui force à se lever régulièrem­ent pour aller aux toilettes. De nombreuses applicatio­ns permettent aussi de programmer des pauses régulières suspendant toute activité en cours sur l’ordinateur. Une occasion pour se lever et se dégourdir les jambes quelques minutes.

Le danger n’est donc pas d’être assis, mais de l’être de façon prolongée. «Après 30 minutes en position assise, il y a déjà des changement­s hormonaux qui s’installent: il y a une augmentati­on de l’insuline ainsi que du glucose et des lipides sanguins. Cela augmente les risques de maladies cardiovasc­ulaires. Dès qu’on recommence à bouger, notre profil sanguin revient à la normale», explique M. Chaput.

Même si les autorités de santé publique multiplien­t les messages misant sur l’importance de bouger tous les jours, il semble encore difficile de passer à l’action. «On entend souvent dire que les Québécois n’ont jamais été aussi actifs. C’est tout à fait faux. Au moins 40 % des gens sont sédentaire­s», soutient Jean-Pierre Després, qui s’intéresse aux phénomènes de la sédentarit­é et de l’obésité depuis plus de 25 ans.

Des enfants rivés aux écrans

La situation semble encore plus inquiétant­e chez les jeunes Québécois puisque le plus récent Bulletin ParticipAC­TION a accordé la décevante note de D+ pour la pratique de l’activité physique chez les 5 à 17 ans.

Pour Jean-Philippe Chaput, l’omniprésen­ce des écrans a grandement modifié les habitudes des vie et a encouragé l’inactivité physique. Le temps passé devant l’écran a d’ailleurs fait son apparition comme critère dans les directives canadienne­s en matière de mouvement. Les résultats ont confirmé une surutilisa­tion des appareils électroniq­ues. Les adolescent­s ont pratiqueme­nt doublé la recommanda­tion de temps d’écran

Après 30 minutes en position assise, il y a déjà des changement­s hormonaux qui s’installent : il y a une augmentati­on de l’insuline ainsi que » du glucose et des lipides sanguins JEAN-PHILIPPE CHAPUT

par jour avec une moyenne quotidienn­e de quatre heures.

«Les risques reliés à un excès de temps d’écran touchent la santé globale : autant la santé physique avec un gain de poids et du diabète que la santé mentale. Le problème, c’est qu’on ne voit pas tout de suite l’associatio­n chez les enfants et les jeunes parce que les problèmes de santé prennent quelques années avant de se développer», constate Jean-Philippe Chaput qui voit souvent passer dans son bureau des jeunes très obèses sans problème de santé apparent… pour l’instant !

Une situation réversible

Heureuseme­nt, il est toujours possible de renverser les conséquenc­es liées à la sédentarit­é. La preuve: dans les dernières années, le professeur JeanPierre Després a encouragé des milliers de travailleu­rs sédentaire­s à mettre l’activité physique au menu et les résultats ont été spectacula­ires. «Ce sont les travailleu­rs dont l’état de santé s’était le plus détérioré qui ont vu les plus grandes améliorati­ons. C’est donc tout à fait réversible », assure-t-il.

Pour y arriver, nul besoin de se lancer dans un entraîneme­nt intense ou de viser à accomplir un marathon dans la prochaine année. Se fixer un objectif de 10 000 pas par jour est tout à fait réaliste. «Chaque petite augmentati­on d’activité physique entraîne des bénéfices sur votre santé à long terme. Il faut maintenant essayer d’intégrer ces changement­s de comporteme­nts de façon permanente», conseille JeanPhilip­pe Chaput. Et de bouder notre chaise le plus souvent possible!

 ??  ??
 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Certains milieux de travail misent sur la santé de leurs employés en offrant des postes de travail ajustables pour accomplir leur boulot en position debout ou encore en marchant sur des tapis roulants à très faible vitesse. Mais ces initiative­s restent rares.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Certains milieux de travail misent sur la santé de leurs employés en offrant des postes de travail ajustables pour accomplir leur boulot en position debout ou encore en marchant sur des tapis roulants à très faible vitesse. Mais ces initiative­s restent rares.

Newspapers in French

Newspapers from Canada