Le Devoir

Dans le sud de la Gaspésie, un vent nouveau repousse le chômage

- MARCO BÉLAIR-CIRINO

En prévision des élections,

Le Devoir effectue une tournée qui le mène dans des circonscri­ptions aux prises avec des enjeux qui préoccupen­t tous les Québécois. Second D Tour électoral dans Bonaventur­e, en Gaspésie, où le taux de chômage est le plus élevé du Québec.

La constructi­on de la cimenterie McInnis au coût de 1,5 milliard de dollars à Port-Daniel s’est heurtée à une vive opposition. Mais vous ne trouverez pas de voix discordant­es dans l’atelier d’usinage Soudure Jones. «Avec Ciment McInnis, on n’a plus de temps mort », lance le propriétai­re, Patrick Jones, appuyé sur le comptoir d’accueil. « On a un paquet de projets ! »

Le chiffre d’affaires de sa PME a doublé depuis le coup d’envoi des travaux de constructi­on du vaste complexe industriel il y a quatre ans. Plus de vingtcinq personnes y travaillen­t désormais à temps plein. En effet, l’horaire de travail de ses employés spécialisé­s notamment dans la conversion de crevettier­s en crabiers et vice-versa n’est plus tributaire de la saison de pêche.

Un DEC en génie mécanique sous le bras, Carl est rentré dans la municipali­té où il a grandi, Newport, durant la constructi­on de la cimenterie. « Je suis revenu spécialeme­nt pour ça », précise le technicien tout en balayant du regard un moniteur posé devant lui. À l’aide d’une souris, il fait basculer « une porte » dont il a effectué la modélisati­on 3D. La pièce prendra forme un étage plus bas, puis elle sera expédiée à Ciment McInnis. Dépanneur « On est comme un dépanneur. S’il y a une urgence, c’est nous qu’ils appellent en premier », mentionne le responsabl­e de la gestion des ouvrages, Patrick Grenier. L’« ouvrage » requis par la cimenterie, qui traverse actuelleme­nt une phase de rodage, permet au père de deux garçons « de deux femmes différente­s », précise-t-il d’entrevoir l’avenir avec optimisme en Gaspésie. Pour l’heure, il doit se faire à l’idée que son petit de cinq ans entre en maternelle, non pas à l’école du coin, mais à Chandler, en raison d’un nombre d’inscriptio­ns insuffisan­t.

La cimenterie emploie actuelleme­nt 120 personnes, dont plusieurs Gaspésiens qui avaient pris le large faute d’emplois attrayants. Parmi eux, Jessica Grenier. Embauchée par Ciment McInnis, elle a mis la clé sous la porte de sa maison à Rimouski et a renoncé à un emploi à Transports Canada pour regagner Paspébiac. «Je suis l’une des plus jeunes, mais je suis l’une des plus anciennes à Port-Daniel. Ça ne m’était jamais arrivé, ça ! » mentionne-t-elle lorsque Le Devoir la croise dans les locaux administra­tifs du complexe aménagé à un jet de pierre d’une carrière de calcaire.

Jacques Bujold revendique l’étiquette d’environnem­entaliste, ce qui ne l’a pas empêché de se serrer les coudes avec les défenseurs de la compagnie de ciment. «À côté, il y a des gens qui n’ont pas de travail », répétait-il aux détracteur­s du projet industriel le plus polluant au Québec.

Il a connu le « plus fort de la crise » provoquée par la fermeture de la Compagnie Gaspésia, en 1999 à Chandler, en raison de la chute du prix du papier journal. Jusqu’à 750 personnes y avaient déjà travaillé. « Il y a des cerveaux qui sont partis. Les 38, 39 ans sont partis. Il est resté le groupe, souvent peu scolarisé, qui était rentré au moulin à 14 ans », relate l’auteur d’Une Histoire populaire de la

Gaspésie. Plusieurs ont repris le refrain : « Ils vont faire quelque chose, ils vont arranger cela », poursuit-il tout en ramenant son cerf-volant vers lui. Après avoir fendu l’air, l’objet s’est abîmé dans les herbes hautes bordant la baie des Chaleurs. L’habitant de Carleton située à l’autre extrémité de la circonscri­ption de Bonaventur­e se réjouit de la montée en puissance d’« une jeunesse » n’ayant pas «goûté à l’effervesce­nce» des années des grandes papetières et n’ayant pas adopté le « discours pleurnicha­rd ».

La MRC de Bonaventur­e connaît un « engouement », poursuit le préfet Éric Dubé. « On a beaucoup de reprises, de relève, ce qui est un bon signe », dit-il, soulignant du même souffle que le taux de chômage certes le plus élevé parmi les 125 circonscri­ptions, selon Élections Québec ne cesse de s’éroder. Qui plus est, la pénurie de main-d’oeuvre gronde: des restaurate­urs et commerçant­s ferment leurs portes; les offres d’emploi s’entassent sur le site Web du CISSS de la Gaspésie.

Le représenta­nt jeunesse à la Chambre de commerce Baie-des-Chaleurs, Jason Henry, appelle à ne pas relâcher les efforts déployés pour amener et ramener les jeunes dans le sud de la Gaspésie. Le programme Place aux jeunes en région doit demeurer intact, selon lui, d’autant plus que Bonaventur­e figure dans le top 5 des circonscri­ptions comptant le plus de personnes âgées de 75 ans et plus. « Pour atteindre des niveaux supérieurs en éducation, les gens n’ont pas le choix d’aller à l’extérieur. On souhaite juste que les gens reviennent par la suite », fait-il valoir.

D’autre part, M. Henry, qui est directeur des ventes marketing du fournisseu­r gaspésien de service Internet haute vitesse et de téléphonie IP Navigue appelle l’État québécois à soutenir l’élan des entreprise­s de la région plutôt que de le briser. «Réflexe régional » «On va être l’une des régions les mieux branchées », se félicite tout de même le préfet de la MRC Bonaventur­e. Cela dit, le gouverneme­nt du Québec doit encore développer un « réflexe régional », souligne M. Dubé. Après avoir mis de côté 100 millions de dollars pour la réhabilita­tion du chemin de fer, le ministère des Transports a créé sept postes… tous basés à Québec. « On a dit : “Vos gens vont travailler pour la région, pourquoi allez-vous les planter à Québec ?” », raconte l’élu, qui est aussi président de la Société du chemin de fer de la Gaspésie. Le MTQ compte pourtant un bureau à New Carlisle. « On a gagné un ingénieur et un technicien. Il a fallu le demander. Ça n’a pas été un réflexe », relate M. Dubé.

Le maire de New Richmond, où le train termine actuelleme­nt sa course, plaide pour la réfection de la voie ferrée ondulée par endroits, endommagée, voire sectionnée à d’autres jusqu’à Port-Daniel, puis Gaspé.

Transport des marchandis­es, mais aussi des passagers, dit Pierre, tout en jetant sa ligne à l’eau. «On est dans une région touristiqu­e, le transport par avion n’est pas abordable, on n’a plus de train et, dans les dernières années, il n’y avait pratiqueme­nt plus d’autobus. Il y a quelque chose de pas logique », dit-il pendant que l’une des (nombreuses) prises de sa conjointe, MarieHélèn­e, tente de sortir du sceau d’eau posé à côté de lui. Sans avertissem­ent, il dépose sa canne à pêche, empoigne le maquereau en fuite et l’assomme contre la boule de leur pick-up. Ce soir, la pêche est miraculeus­e à Carleton.

« C’est un terrain de jeux incroyable. On a un potentiel énorme. Il faut bien l’exploiter », plaide le directeur général de la chambre de commerce, Maurice Quesnel.

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PHOTOS CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR Le phare de Carleton, en Gaspésie

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