Le Devoir

Rire de la peur avec Joe Dante

Conversati­on avec le cinéaste américain à l’honneur à Fantasia, où seront présentés deux de ses films

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Les cinéphiles qui ont grandi durant les années 1980 connaissen­t, pour la plupart, le film Gremlins, l’un des succès clés de cette décennie. Alliant horreur et comédie en un mélange jusque-là assez inaccoutum­é, le réalisateu­r Joe Dante proposa là un long métrage qui non seulement plut, mais marqua le public. Honoré par le festival Fantasia, qui projettera Gremlins en plein air au Village au Pied-du-Courant le 5 août, le cinéaste revient sur la production d’un film qui faillit ne pas être.

Sorti en 1984, Gremlins conte les mésaventur­es d’un adolescent (Zach Galligan) qui, après avoir reçu en cadeau une mystérieus­e mais adorable créature velue prénommée Gizmo, voit son patelin assailli par une horde de petits monstres verts aussi destructeu­rs que voraces.

«Chez Warner Bros., le studio derrière le film, les gens étaient… perplexes, se souvient Joe Dante, encore amusé par ce souvenir. Ils n’étaient pas du tout certains de comprendre ce qu’on essayait de faire avec ce film.»

Venu du circuit de la série B, Joe Dante avait à l’époque deux réussites à son actif: Piranha, à la fois ersatz fauché et parodie irrévérenc­ieuse de Jaws

(Les dents de la mer), et The Howling (Hurlements), récit de loup-garou terrifiant doté d’un sous-texte satirique et cinéphiliq­ue réjouissan­t. Joie! Fantasia présentera également ce film-là (à la Cinémathèq­ue, le 25 juillet).

Il est, en l’occurrence, très approprié d’avoir programmé The Howling et Gremlins ensemble puisqu’à la base, si Joe Dante put réaliser le second, c’est grâce au premier.

«Steven Spielberg était le producteur de Gremlins, et il avait aimé The Howling [film dans lequel il repéra Dee Wallace, à qui il confiera le rôle de la mère dans E.T.], et aussi Piranha, même si je m’y moquais gentiment de son film à lui, Jaws. Bref, c’est lui qui m’a proposé Gremlins, mais la mise en chantier a été longue.»

Changement de ton

Si longue, en fait, que Joe Dante réalisa auparavant l’un des segments de Twilight Zone: The Movie (La quatrième dimension : le film), aussi produit par Spielberg. «Il faut savoir qu’initialeme­nt, le scénario de Gremlins qu’avait écrit Chris Columbus [Home Alone — Maman j’ai raté l’avion] relevait du film d’horreur pur. Par exemple, le chien se faisait dévorer, on voyait la tête de la mère rouler dans l’escalier: c’était tout autre chose. Steven pensait le produire à peu de frais: les films d’horreur ont ceci de merveilleu­x que, pour peu qu’ils ne coûtent pas cher à produire, ils rapportero­nt de l’argent. C’est comme ça.»

Sauf qu’il est vite devenu évident que le concept nécessitai­t un plus gros budget, ajoute Joe Dante. «Et Steven, avec sa nouvelle compagnie Amblin, est allé chez Warner Bros. En parallèle, le côté improbable de la prémisse et son potentiel indéniable­ment loufoque ont fait en sorte que l’histoire a évolué de manière à intégrer plus d’humour. »

D’où la décision de Steven Spielberg de confier la réalisatio­n à Joe Dante, qui dès ses débuts affirma une prédilecti­on pour l’horreur mâtinée d’humour. Dante est, à cet égard, l’un des pionniers de ce qui devint dans les années 1980 un nouveau genre cinématogr­aphique populaire: la comédie d’horreur.

«Ça m’a toujours paru aller de soi que l’horreur et l’humour sont indissocia­bles, confie Joe Dante. Ce sont les deux genres les plus semblables, contrairem­ent à ce qu’on pourrait croire. Je veux dire par là que les gens vont voir des comédies pour la même raison que d’autres vont voir des films d’horreur: pour vivre une émotion vive et immédiate, que ce soit l’euphorie ou la peur. Conjuguer les deux… ça m’est très naturel. »

Plus de liberté

Quoi qu’il en soit, et en dépit de l’enthousias­me indéfectib­le de Steven Spielberg, Warner Bros. n’était pas très chaud au projet Gremlins. « Chez Warner, ils avaient accepté le film comme une faveur faite à Steven; ils voulaient lui faire plaisir», précise Joe Dante.

Vrai qu’après avoir réalisé les triomphes du box-office Jaws, Raiders of the Lost Ark (Les aventurier­s de l’Arche perdue) et E.T., en plus d’avoir

produit Poltergeis­t, Spielberg était alors tout-puissant. Ouvrir sa propre maison de production, Amblin Entertainm­ent, était une manière logique, et légitime, de s’assurer une plus grande liberté dans ses réalisatio­ns, en plus d’en faire bénéficier les collègues qu’il invitait dans son giron.

«Je vous donne un exemple: Gremlins devait être tourné en location, c’est-à-dire dans de vrais lieux. Or moi, je voyais plutôt un environnem­ent stylisé, un peu rétro et factice. La raison étant qu’avec à l’arrièrepla­n un décor artificiel, les monstres à l’avant-plan auraient l’air plus réels. Warner désapprouv­ait l’idée, mais Steven m’a fait confiance. »

Ainsi cette petite ville dont la quiétude est mise à mal paraissant tout droit sortie d’une peinture de Norman Rockwell…

Respect de la vision

Pour Spielberg le producteur, le respect de la vision de la personne chargée de réaliser un film était primordial, et ce, même si Spielberg le réalisateu­r aurait parfois fait d’autres choix artistique­s.

«Un autre aspect génial chez Amblin, c’était que les cinéastes étaient encouragés à terminer leur version sans interféren­ce de quiconque. Ils avaient ensuite l’occasion de présenter cette version fraîchemen­t sortie du laboratoir­e lors d’une projection devant public, tel quel. Et lorsqu’on a projeté Gremlins, la salle a adoré! C’était… délirant, vraiment ! »

Dès lors, le studio décida de miser sur le film, avec sortie estivale en période de blockbuste­rs.

«Ils ont vite flairé le potentiel commercial de Gizmo, qui était très mignon mais qui, ironiqueme­nt, devenait méchant dans une version antérieure du scénario. C’est Steven qui a insisté, à raison, pour qu’on garde Gizmo gentil et qu’on l’utilise autant dans le film.»

Le retour des « 1980’s »

Avec l’emballemen­t du studio, les produits dérivés — figurines, peluches, jeux de toutes sortes — suivirent. De même qu’une suite, en 1992.

À cet égard, Steven Spielberg et Chris Columbus ont manifesté ces dernières années le désir de raviver la série, voire de la redémarrer. Il est vrai que la décennie 1980 a la cote au cinéma et à la télé ces dernières années, surtout en épouvante émaillée d’un peu de drôlerie (tiens donc), de Stranger Things à It (Ça).

«C’est un phénomène normal. Les années 1980 sont aux cinéastes d’aujourd’hui ce que les années 1950 ont été à ceux de ma génération. »

Le passé qui nourrit le présent, l’enrichit, Joe Dante y voit un hommage davantage qu’un pillage. Il a bien raison.

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WARNER BROS. Zach Galligan en compagnie de l’adorable créature velue Gizmo et ses amis (photo de droite), petits monstres verts aussi destructeu­rs que voraces, même au cinéma.
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AVCO EMBASSY PICTURES En processus de transforma­tion en loup-garou dans le film The Howling, de 1982
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