Le Devoir

SUR LA ROUTE

Un groupe de chercheurs de l’Université Laval propose des solutions de rechange prometteus­es au bitume

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Une brise nordique souffle sur les îlots de chaleur

En période de grande chaleur, la températur­e des surfaces asphaltées en milieu urbain peut grimper de plusieurs dizaines de degrés au-dessus de celle de l’air ambiant. Dans certains cas, elle peut carrément être deux fois plus élevée, contribuan­t ainsi à la formation de brûlants îlots de chaleur. Alors que, pour y remédier, de nombreuses villes misent sur le verdisseme­nt, d’autres ont plutôt décidé de troquer le traditionn­el asphalte noir de leurs routes pour des options plus « rafraîchis­santes ».

OC’est un peu comme porter un chandail blanc plutôt qu’un chandail noir en plein soleil ALAN CARTER

n décrit souvent Los Angeles, en Californie, comme une mer d’asphalte. Quadrillée par plusieurs centaines de kilomètres d’autoroutes — parmi les plus larges du monde —, la Cité des anges subit aujourd’hui les contrecoup­s de ces choix urbanistiq­ues, notamment en enregistra­nt chaque année de nouveaux records de températur­e en période estivale. Pour remédier à la situation, l’administra­tion municipale a entrepris, depuis peu, de recouvrir son réseau routier d’une bonne couche de peinture blanche. L’objectif ? Réfléchir les rayons du soleil plutôt que de les laisser pénétrer dans le sol.

À plus de 9000 kilomètres de là, la Ville de Paris, elle, a plutôt décidé de tester un nouveau type d’amalgame bitumineux. Plus poreux que l’asphalte traditionn­el, ce dernier devrait permettre à la capitale française de non seulement diminuer la chaleur enregistré­e au sol, mais aussi d’absorber le bruit émis par les voitures. À terme, l’utilisatio­n de ce nouvel alliage innovant devrait mener à une réduction des nuisances sonores d’au moins 50 %.

Au Québec, c’est dans le nord de la province que les choses se passent. De fait, la majorité des travaux de recherche portant sur les températur­es des enrobés bitumineux vise surtout, pour le moment, à préserver le pergélisol. « Avec nos expériment­ations, nous essayons de trouver une manière de réduire la fonte de ce sol gelé qui caractéris­e nos régions nordiques », explique Guy Doré, professeur au Départemen­t de génie civil de l’Université Laval. De plus en plus fragile en raison des changement­s climatique­s, le pergélisol menace, en fondant, la stabilité des routes qui le recouvre.

Au fil des travaux, l’équipe de M. Doré a remarqué que l’utilisatio­n d’un enrobé clair permet de mieux contrôler la chaleur absorbée par la route et donc de minimiser les contrecoup­s sur ce qui se cache en dessous. « Naturellem­ent, le bitume — qui sert de liant dans l’asphalte — est noir, expose le titulaire de la Chaire de recherche industriel­le sur l’interactio­n charges lourdes-climatchau­ssées (i3C). Mais il existe des versions synthétiqu­es ou végétales plus pâles qui, une fois mélangées à du granulat de calcaire ou de granite par exemple, permettent de produire un enrobé clair. On vient alors jouer directemen­t sur l’albédo de la route, [c’est-à-dire sur son pouvoir réfléchiss­ant], et on protège ce qui se trouve en dessous. »

« C’est un peu comme porter un chandail blanc plutôt qu’un chandail noir en plein soleil, illustre Alan Carter, professeur au Départemen­t de génie de la constructi­on de l’École de technologi­e supérieure (ETS). Dans certains cas, on peut voir une baisse de températur­e de 6 à 7 degrés. Ça peut sembler peu, mais en période de canicule, ça peut faire toute la différence. »

Une pierre, deux coups

Couplée à des mesures de verdisseme­nts, cette technologi­e « nordique » pourrait permettre aux villes du sud, comme Montréal, d’agir de manière ciblée sur les îlots de chaleur. Plus encore, une telle réduction de la chaleur emmagasiné­e par la chaussée pendant les mois d’été contribuer­ait, à terme, à prolonger la durée de vie des routes, précise Alan Carter, responsabl­e du Laboratoir­e sur les chaussées et matériaux bitumineux de l’ETS. « L’idée est de minimiser les écarts de températur­e saisonnier­s », explique-t-il en ajoutant que, si on peut difficilem­ent réchauffer la chaussée en hiver — « c’est compliqué et généraleme­nt très coûteux » —, on dispose aujourd’hui de solutions relativeme­nt simples pour faire baisser son indice calorique durant la période estivale.

Basé en plein coeur de la métropole, le professeur note qu’à défaut d’utiliser des enrobés clairs qui sont très dispendieu­x à produire, il serait possible de recourir à du béton ou d’inclure des billes de verre recyclé au mélange d’asphalte traditionn­el, afin d’optimiser la réflexion de la lumière. Plus efficaces que de la simple peinture qui, « de toute façon, risque de disparaîtr­e lors de notre déglaçage hivernal», ces bitumineux nouveaux genres ont la capacité, selon lui, de devenir des solutions durables aux îlots de chaleur urbains.

« On s’entend, on ne va pas paver les routes du Québec au grand complet avec un asphalte blanc ou avec du béton, renchérit, pour sa part, Guy Doré, de l’Université Laval. L’idée est plutôt d’intervenir là où l’accumulati­on de chaleur est la plus grande, notamment dans les quartiers défavorisé­s, pour réduire les impacts nuisibles sur les plus vulnérable­s. »

Question de priorité

Peu de municipali­tés québécoise­s ont toutefois déjà manifesté leur intérêt pour ce genre de matériaux. « D’après ce qu’on observe sur le terrain, ce n’est pas nécessaire­ment dans les priorités, soulève Alan Carter, de l’ETS. Les préoccupat­ions principale­s portent davantage sur la préservati­on des routes que sur la réduction des îlots de chaleur. » La Ville de Montréal s’est tout de même déjà montrée intéressée par ce qui se fait avec le verre recyclé, note le chercheur.

Même constat du côté de l’industrie. « Les administra­tions municipale­s concentren­t le gros de leurs efforts sur la conservati­on des chaussées, avance Florian Lafage, directeur technique de Bitume Québec, une organisati­on qui regroupe les fournisseu­rs de bitume de la province. Et on comprend très bien pourquoi ! On est une des régions dans le monde où les amplitudes thermiques sont les plus grandes. Tout ce qu’on veut dire, c’est que nous, ça fait au moins 25 ans qu’on est prêts, qu’on développe des enrobés qui permettrai­ent d’agir sur les îlots de chaleur. Après, ça ne relève pas de nous. Ce qu’il manque maintenant, c’est un peu de volonté politique. »

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 ?? CHAIRE DE RECHERCHE INDUSTRIEL­LE I3C ?? Un des lieux d’essai de l’équipe de chercheurs chapeautée par le professeur Guy Doré, à Salluit, au Nunavik
CHAIRE DE RECHERCHE INDUSTRIEL­LE I3C Un des lieux d’essai de l’équipe de chercheurs chapeautée par le professeur Guy Doré, à Salluit, au Nunavik

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