Le Devoir

Un accès à géométrie variable

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT LE DEVOIR

Si l’accès à un médecin de famille reste difficile à plusieurs endroits au Québec, certaines régions tirent très bien leur épingle du jeu. Dans certains des 93 réseaux locaux de service (RLS) du Québec, non seulement la cible de 85 % de citoyens suivis par un omnipratic­ien est atteinte, mais elle est même largement dépassée.

Le « meilleur élève » se trouve au Saguenay–Lac-Saint-Jean, une région où plus de 90 % des gens ont un médecin. Dans le RLS de Maria-Chapdelain­e, on atteint presque 97 %.

L’améliorati­on la plus notable en 4 ans, pour sa part, est enregistré­e en Abitibi, où le RLS du Témiscamin­gue a vu son taux d’inscriptio­n bondir de 25 points de pourcentag­e, pour atteindre 83,4 % en mai 2018.

Près de la moitié des réseaux locaux de service du Québec, soit 43 sur 93, atteignent l’objectif de donner un médecin de famille à 85% de leurs citoyens. Ils n’étaient que 9 en 2014. Dans le BasSaint-Laurent, la Mauricie–Centre-duQuébec, l’Estrie, la Gaspésie, ChaudièreA­ppalaches et à Québec, la majorité des RLS ont atteint ou dépassé la cible.

Le miracle du Lac

Comment expliquer que presque tous les citoyens du RLS de Maria-Chapdelain­e, dans le coin de Dolbeau-Mistassini au Lac-Saint-Jean, aient un médecin de famille ?

Le Dr Marc Audet, responsabl­e du groupe de médecine familiale (GMF)

L’accès à un médecin de famille, ici, devient une amorce pour un ensemble de services interdisci­plinaires

Maria-Chapdelain­e, est plutôt humble devant ce succès. Il y voit le résultat d’une communauté tissée serrée qui croit aux soins de proximité.

Les neuf cliniques de la région se sont réunies sous l’égide d’un seul et même GMF. « Tous ensemble, nous avons à coeur que ça fonctionne », explique-til. «Sans notre regroupeme­nt, nous n’aurions pas obtenu ces résultats-là. » Le GMF se sent ainsi responsabl­e de l’ensemble de la population du RLS et de sa santé.

La majorité des omnipratic­iens du territoire pratiquent tant à l’hôpital de Dolbeau-Mistassini qu’en GMF. «Ils accouchent les patientes, puis suivent leurs enfants, c’est un suivi intégré de longue date ! »

La proximité fait selon lui une grande différence. Un patient qui a besoin d’un médecin est rapidement signalé par un proche. « On est interpellé­s par nos patients pour en prendre d’autres et puis, on dit oui ! » résume simplement le Dr Audet.

Tout le monde met la main à la pâte devant les difficulté­s, comme la pénurie de chirurgien­s et d’anesthésio­logistes qui a touché l’hôpital dans les derniers mois. Là encore, les omnipratic­iens ont pallié le manque comme ils le pouvaient avec le suivi des patients. «C’est une question de survie», explique le Dr Audet.

Abitibi : un bond en avant

En Abitibi, les médecins d’un RLS ont réussi le tour de force d’augmenter de 25 points de pourcentag­e leur taux d’inscriptio­n. Les médecins de Ville-Marie se sont vraiment motivés, indique le responsabl­e régional du départemen­t régional de médecine générale, le Dr JeanYves Boutet. Une partie du succès est attribuabl­e à une simple histoire de bureaucrat­ie, puisque les médecins y étaient pour la plupart à salaire. « Beaucoup de patients étaient vus mais non inscrits. Maintenant qu’ils ont un GMF, l’importance d’inscrire les patients est beaucoup plus présente », explique-t-il.

Alors que l’Abitibi peine à recruter des médecins de la relève, l’imaginatio­n et la débrouilla­rdise ont dû être mises à profit pour faire passer le taux d’inscriptio­n régional de 67 à 82 % en 4 ans.

Grâce à une table de concertati­on régionale, les médecins partagent leurs « bons coups », explique le Dr Boutet, qui pratique au GMF Les Eskers, à Amos.

Alors que la « responsabi­lité population­nelle» avait pu être «diluée dans les grandes structures », dit-il, elle a été ramenée à sa dimension locale. Concrèteme­nt, les médecins sont alimentés en données : qui est « orphelin » de médecin ? Quels sont les problèmes de santé criants dans leur communauté ?

Pour arriver à prendre en charge plus de patients, le GMF du Dr Boutet préconise un appel téléphoniq­ue d’une infirmière à chaque personne qui sollicite un rendez-vous, pour une première évaluation. Résultat : les patients ne se sentent pas «abandonnés» et leur problème est discuté rapidement. « Ils nous appellent pour nous remercier ! » s’exclame l’omnipratic­ien. Les ordonnance­s collective­s, pour donner le plus d’autonomie possible aux infirmière­s, sont mises à profit.

Montréal : chercher des solutions

À Montréal, dans les quartiers les plus dépourvus en couverture médicale de première ligne, la Dre Vania Jimenez se démène pour améliorer l’accès en priorité aux plus vulnérable­s, les femmes enceintes et leurs familles qui vivent des situations de pauvreté, de violence conjugale, de toxicomani­e et tant d’autres réalités, comme l’immigratio­n récente.

Après une première « maison bleue » dans Côte-des-Neiges ont poussé des petites soeurs dans Parc-Extension et Saint-Michel, où les taux d’inscriptio­n à un médecin de famille sont parmi les plus faibles au Québec. Sa directrice générale, Amélie Sigouin, vise l’ouverture de deux autres maisons bleues, dans Montréal-Nord et le Sud-Ouest.

« Le système ne les rejoignait pas », juge la Dre Jimenez, cofondatri­ce de la Maison bleue. « L’accès à un médecin de famille, ici, devient une amorce pour un ensemble de services interdisci­plinaires.» À preuve, la classe de yoga maman-bébé qui se tient dans la cour alors que nous nous entretenon­s à l’étage.

Les deux femmes font le pari qu’en entourant les femmes les plus vulnérable­s et leurs familles, elles font la plus grande différence possible dans les quartiers où les maisons bleues s’installent et travaillen­t main dans la main avec le réseau de la santé. « On reconquit l’échelle humaine », résume Mme Sigouin.

Déficit de relève

Entre mars 2014 et mai 2018, le taux d’inscriptio­n national à un médecin de famille s’est amélioré de plus de 14 points de pourcentag­e, passant de 65,2 à 79,9%. Il reste du chemin à faire, concède le président de la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec, le Dr Louis Godin, tout en insistant sur les progrès importants qui ont été réalisés.

La baisse d’intérêt des étudiants pour la médecine familiale au profit des spécialité­s nuit. « Quand on a fait des projection­s pour la cible de 85 %, on comptait sur l’arrivée nette de 650 médecins sur 3 ans, souligne le Dr Godin. On en aura 400, 425… » À 1000 patients par médecin en moyenne, le déficit de plus de 200 nouveaux praticiens ne peut que se faire sentir, dit-il.

Le Dr Godin souhaite qu’on reconnaiss­e le fait que l’améliorati­on des dernières années est substantie­lle. « Si on arrive à un taux d’inscriptio­n de 83,5 %, ce ne sera pas un échec », plaide-t-il.

À Montréal, dans les quartiers les plus dépourvus en couverture médicale de première ligne, la Dre Vania Jimenez se démène pour améliorer l’accès en priorité aux plus vulnérable­s, les femmes enceintes et leurs familles qui vivent des situations de pauvreté, de violence conjugale, de toxicomani­e et tant d’autres réalités, comme l’immigratio­n récente

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