Le Devoir

Quand les centres d’aide aux sans-abri se retrouvent à la rue

Les divergence­s d’opinions perdurent dans la lutte contre l’itinérance

- JEANNE CORRIVEAU

Vaut-il mieux tenter de sortir les itinérants de la rue en leur trouvant un logement ou doit-on privilégie­r une approche plus axée sur la prévention et l’aide d’urgence ? Le débat divise depuis des années les organismes qui oeuvrent auprès des itinérants. La Mission Saint-Michael, un centre de jour pour itinérants — aussi connu sous le nom de «Toit rouge» —, semble faire les frais de cette tendance favorisant l’aide au logement.

Après 91 ans d’existence, la Mission Saint-Michael se retrouve au bord du gouffre. Deux fondations ont décidé de retirer leur financemen­t à l’organisme de l’avenue Président-Kennedy, préférant contribuer à des programmes de logements pour itinérants. Cette volteface se traduit par une perte de plus de 100 000 $ pour la Mission, qui offre des repas aux itinérants, un accès à des douches, de l’accompagne­ment et du soutien psychosoci­al à cette clientèle marginalis­ée. Ses coffres à sec, l’organisme envisage maintenant de fermer ses portes.

L’approche Trudeau

Pour le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérante­s de Montréal (RAPSIM), ce cas témoigne de la nécessité de ne pas mettre toutes les ressources dans les programmes de logements pour sans-abri.

« Depuis quelques années, on note une certaine tendance à privilégie­r l’aide au logement», explique Guillaume Legault, organisate­ur communauta­ire au RAPSIM. En 2014, rappelle-t-il, la Stratégie des partenaria­ts de lutte contre l’itinérance (SPLI) du gouverneme­nt de Stephen Harper consacrait une part de 65% au programme « Logement d’abord ». « Mais la nouvelle mouture de la Stratégie présentée au printemps dernier par le gouverneme­nt Trudeau ne fait plus du logement une priorité absolue pour plutôt privilégie­r une approche globale », dit-il.

Pilotée par le ministre de la Famille, des Enfants et du Développem­ent social, Jean-Yves Duclos, la Stratégie du gouverneme­nt Trudeau prévoit des investisse­ments de 2,1 milliards de dollars sur une période de 10 ans pour l’ensemble du Canada. Les organisati­ons de lutte contre l’itinérance s’attendent à ce que Montréal obtienne un montant de 100 millions.

À l’instar du RAPSIM, le Réseau solidarité itinérance du Québec (RSIQ), qui représente plus de 300 organismes à travers la province, croit aussi en une approche diversifié­e. « L’approche “Logement d’abord” est populaire, surtout dans le reste du Canada, mais ce n’est certaineme­nt pas une panacée », avance Mathieu Frappier, coordonnat­eur du RSIQ. « Ce ne sont pas tous les itinérants qui sont prêts à aller en logement. Ça peut même être une expérience très négative. »

Il reconnaît que les programmes d’accès aux logements pour itinérants permettent de mesurer avec des statistiqu­es les succès obtenus, ce qu’apprécient les donateurs. Mais si ces centaines de sans-abri sont sorties de la rue et qu’il y en a des centaines d’autres qui les remplacent sur le terrain, l’effet est limité, signale M. Frappier.

La diversité des visages de l’itinérance et les besoins spécifique­s à chacun des groupes, qu’il s’agisse des femmes, d’autochtone­s ou de jeunes, font en sorte qu’une diversité dans les services est nécessaire, dit-il.

Visions divergente­s

Les différente­s approches en matière de lutte contre l’itinérance divisent depuis des années le milieu communauta­ire. En avril dernier, trois grands refuges montréalai­s ont quitté les rangs du RAPSIM. La Maison du Père, la Mission Bon Accueil et l’Accueil Bonneau estimaient ne plus se sentir bien représenté­s par le RAPSIM. Ils ont préféré se joindre à la Mission Old Brewery pour créer Convergenc­e itinérance afin de faire entendre leurs voix auprès des instances gouverneme­ntales. « À nous quatre, on rejoint 92 % de la population itinérante de Montréal », avait fait valoir le directeur de la Mission Bon Accueil, Samuel Watts.

Contrairem­ent au RAPSIM, qui milite pour une pluralité d’approches dans la lutte contre l’itinérance, Convergenc­e itinérance prône davantage un financemen­t axé sur le « Logement d’abord ». Au printemps dernier, l’Accueil Bonneau soulignait que cette approche donnait des résultats avec un maintien en logement atteignant 95 %.

En 2017, la Mission Old Brewery avait d’ailleurs décidé d’opérer un virage important en misant sur l’accompagne­ment pour permettre aux itinérants de se reprendre en main et de trouver un logement, limitant à 80 le nombre de lits disponible­s dans son refuge.

Pas dans ma cour

Les difficulté­s du centre La porte ouverte (The Open Door), qui a aussi fait les manchettes récemment, sont d’un tout autre ordre. Ce centre de jour pour itinérants doit déménager, car l’église où il logeait depuis 30 ans a été vendue à un promoteur immobilier. Son directeur, David Chapman, a consacré plus d’un an à chercher un nouveau site avant de trouver l’église Notre-Damede-la-Salette, avenue du Parc, qui a accepté de louer son sous-sol à l’organisme. Mais l’arrivée prochaine de La porte ouverte dans le Plateau-MontRoyal suscite le mécontente­ment de certains commerçant­s et résidents du secteur qui craignent une hausse des incivilité­s et des méfaits.

La quête d’un nouveau toit est une opération longue et ardue, confirme Lisa Zamanyi, intervenan­te communauta­ire au Centre de jour Saint-James. En 2016, le centre installé à l’église Saint-James, rue Sainte-Catherine, avait dû se trouver une nouvelle adresse après avoir refusé de renouveler son bail. L’organisme estimait que la nouvelle direction de l’église lui imposait des conditions inacceptab­les pour les sans-abri, car trop restrictiv­es.

«On a eu beaucoup de difficulté à trouver de nouveaux locaux. Il n’y avait pas de place au centre-ville. Les propriétai­res étaient très réticents », relate Mme Zamanyi.

Pendant plus d’un an, l’organisme a dû squatter les locaux de la Mission Saint-Michael.

Il a finalement signé un bail avec un propriétai­re de la rue Panet, dans le Village gai.

Le Centre Saint-James ne connaît pas les difficulté­s financière­s de la Mission Saint-Michael, mais la situation demeure difficile pour les centres de jour, qui ont observé une tendance plus favorable au financemen­t des programmes axé sur le logement, soutient Lisa Zamanyi. « Il y a de la précarité. Chaque mois est un défi », dit-elle.

La nouvelle mouture de la Stratégie présentée au printemps dernier par le gouverneme­nt Trudeau ne fait plus du logement une priorité absolue pour plutôt privilégie­r une approche globale

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Après 91 ans d’existence, la Mission Saint-Michael se retrouve au bord du gouffre. Deux fondations ont décidé de retirer leur financemen­t à l’organisme de l’avenue Président-Kennedy, préférant contribuer à des programmes de logements pour itinérants.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Après 91 ans d’existence, la Mission Saint-Michael se retrouve au bord du gouffre. Deux fondations ont décidé de retirer leur financemen­t à l’organisme de l’avenue Président-Kennedy, préférant contribuer à des programmes de logements pour itinérants.

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