Le Devoir

L’OIF doit recentrer son action sur l’essentiel de sa mission

- Michel Leclerc

Lorsque le président Emmanuel Macron, en mai dernier, a confirmé l’appui de la France à la candidate rwandaise Louise Mushikiwab­o à la tête de l’Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie (OIF), il a instantané­ment fragilisé le statut de sa secrétaire générale, Michaëlle Jean. Il y a quelques jours, en présence du président français, qui s’était rendu au sommet de Nouakchott, l’Union africaine apportait officielle­ment son soutien à la candidatur­e de Mme Mushikiwab­o.

Pour la première fois dans l’histoire de la Francophon­ie institutio­nnelle, la réélection de son plus haut dirigeant n’est pas assurée.

À la veille du sommet d’Erevan, la secrétaire générale de la Francophon­ie voit son bilan sévèrement critiqué et son mandat contesté. Pourtant, il n’est pas certain que son sort soit définitive­ment joué, d’autant moins que les statuts de la Francophon­ie ne prévoient pas de procédure de nomination, ce qui rend possible un accord in extremis, même si cette hypothèse semble de moins en moins plausible.

Lors du sommet de Dakar, la secrétaire générale fut élue par défaut plutôt qu’en raison d’une réelle ferveur pour sa candidatur­e. Lors de leur huis clos, incapables de s’entendre sur un candidat africain, les chefs d’État et de gouverneme­nt avaient lancé un dernier appel à Abdou Diouf pour qu’il accepte de prolonger son mandat de six mois, le temps de sortir de l’impasse.

Mal préparée

Rappelons qu’au moment de l’annonce de sa candidatur­e quelques mois plus tôt, les fonctionna­ires du MRI avaient formulé une recommanda­tion négative à l’endroit de la candidate canadienne, la jugeant mal préparée pour une fonction où son absence d’expérience de gestion d’une organisati­on politique constituai­t une faiblesse peu compatible avec la responsabi­lité convoitée.

Malheureus­ement, la suite des choses a rapidement donné raison à ceux qui estimaient la nouvelle secrétaire générale mal préparée pour succéder à Abdou Diouf. Dès son arrivée, et en dépit des conseils de prudence qui lui avaient été prodigués, elle a procédé à la mise à pied et à la réouvertur­e de tous les postes de cadres de l’OIF, décision qui a semé la consternat­ion au sein de l’organisati­on et a miné pour longtemps la confiance entre la nouvelle secrétaire générale et le personnel de l’OIF. Ensuite, ce fut une succession de faux pas qui reflétait tout autant un manque d’expérience administra­tive qu’un jugement politique peu aiguisé qu’une gestion hésitante et peu transparen­te des budgets de programmat­ion, comme dans le cas du projet Hermione, dont le surpasseme­nt des coûts n’a cessé d’être nié malgré l’évidence des faits. Cette gouvernanc­e tâtonnante aux résultats incertains constitue un médiocre bilan que les protestati­ons outrées de la secrétaire générale ne suffisent pas à enjoliver.

Ces maladresse­s successive­s ont malheureus­ement été amplifiées par une gestion calamiteus­e des communicat­ions tout au long du mandat de la secrétaire générale. Celle-ci, plutôt que de s’efforcer d’être à l’écoute des critiques à son endroit s’est systématiq­uement ancrée dans une posture défensive, multiplian­t les dénis et s’en prenant aux journalist­es. En visite à Québec récemment, la secrétaire générale a persisté à se regimber contre les journalist­es et a continué à se draper dans une attitude sermonneus­e. La lettre adressée par la secrétaire générale le 5 juin dans les colonnes du Globe and Mail, média qui n’a jamais été un porte-voix de la culture francophon­e, dénote encore une fois une absence consternan­te de jugement politique, que les principaux conseiller­s de la secrétaire générale en matière de communicat­ion, pourtant des Québécois francophon­es, n’ont pas su corriger.

Quatre ans d’une communicat­ion sans substance et aux idées trop souvent squelettiq­ues ont durablemen­t entaché l’image de l’institutio­n francophon­e et accentué le déficit chronique de crédibilit­é et de reconnais- sance auprès des citoyens des pays membres de l’OIF.

L’élection de la candidate du Rwanda, un pays à l’anglicisat­ion programmée, constitue-t-elle une réponse adéquate aux défis de la Francophon­ie ? Le retour d’un dirigeant africain à la tête de la Francophon­ie s’impose au regard d’une évolution démographi­que qui transforme le continent africain en pôle principal de l’expansion de la langue française. Cessons pourtant de perpétuer une image irénique de la Francophon­ie.

Rapport asymétriqu­e au Français

Parmi ses 84 États et gouverneme­nts membres, seulement 21 ont adopté le français comme langue officielle unique. Dans 20 autres, le français est langue coofficiel­le, aux côtés de l’anglais et d’une multitude de langues nationales. Les 84 États membres ont donc un rapport asymétriqu­e au français, rapport souvent marqué de défiance et d’ambivalenc­es, comme on a pu le constater le 5 mars, lorsque le président Macron a affirmé devant le premier ministre Couillard, en visite à Paris, que « parler l’anglais renforce la Francophon­ie ». Parmi les pays membres, le français est tout autant un facteur de cohésion qu’une source de discorde. Si elle tient à démontrer sa capacité à conduire l’action de la Francophon­ie sur la scène internatio­nale au cours des prochaines années, il ne suffira plus à Michaëlle Jean de dénoncer une machinatio­n sciemment ourdie contre elle ni d’entonner une mélodieuse litanie sur un bilan personnel constitué principale­ment d’un pêle-mêle de réformes qui remue davantage de vent que de réalité. Elle devra prouver son lien émotionnel avec les équipes de l’OIF et proposer une vision réaliste et innovante pour la Francophon­ie, loin des idées reçues à la mode.

Surtout, qu’importe qui dirigera la Francophon­ie après le sommet d’Erevan, l’OIF devra recentrer son action sur l’essentiel de sa mission : la coopératio­n, d’abord, en y consacrant une part significat­ive de ses budgets, ce qui signifie aussi de se retirer d’initiative­s où son apport est marginal, telles l’observatio­n électorale et la médiation des conflits, domaines où l’OIF ne sera jamais qu’une ONU de poche. Et, surtout, une action forte et décisive favorable au français, sans laquelle son rôle sur la scène internatio­nale est dépourvu de sens.

 ?? LUDOVIC MARIN ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE ?? La secrétaire générale Michaëlle Jean devra prouver son lien émotionnel avec les équipes de l’OIF si elle tient à démonter sa capacité à conduire l’action de la Francophon­ie sur la scène internatio­nale, croit l’auteur.
LUDOVIC MARIN ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE La secrétaire générale Michaëlle Jean devra prouver son lien émotionnel avec les équipes de l’OIF si elle tient à démonter sa capacité à conduire l’action de la Francophon­ie sur la scène internatio­nale, croit l’auteur.

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