Le Devoir

Utilise-t-on trop de pesticides ?

L’utilisatio­n tous azimuts de ces produits n’est pas une panacée

- JULIE CHAMPAGNE

Le débat sur les pesticides porte souvent sur les risques qu’ils représente­nt pour l’environnem­ent et la santé humaine. Mais à quel point sont-ils nécessaire­s à la productivi­té des exploitati­ons agricoles ? Et est-on bien certains de devoir en utiliser autant ? Le Détecteur de rumeurs fait un bilan d’étape de ces deux questions.

Les pesticides sont-ils nécessaire­s à tous les coups ?

Les pesticides protègent les cultures contre différente­s menaces — insectes, mauvaises herbes, maladies, champignon­s… En minimisant les pertes, ces produits améliorent donc le rendement des récoltes, une préoccupat­ion d’autant plus importante que les revenus des agriculteu­rs laissent peu de place aux imprévus.

Un pesticide peut être utilisé pour combattre un ennemi déjà présent — on parle alors d’une utilisatio­n « curative », comme dans « guérir » — ou il peut être utilisé de manière « préventive », pour empêcher cet ennemi de s’approcher. Au Québec, les semences enrobées de pesticides — et utilisées donc de manière « préventive » — sont la norme. Selon l’Ordre des agronomes du Québec, en 2015, c’était le cas pour plus de 95 % des semences de maïs et de 35 à 50 % pour celles de soya.

L’objectif est de prévenir en amont les dommages causés par les insectes ravageurs. Pourtant, dans les faits, seule une minorité de champs devrait être ainsi traitée. En effet, les suivis du Réseau d’avertissem­ent phytosanit­aire entre 2011 et 2015 ont conclu que moins de 10 % des champs dépistés dépassaien­t le seuil où le nombre de ravageurs pouvait être problémati­que.

« C’est un peu comme si on prenait des antibiotiq­ues à l’année pour éviter d’avoir la grippe, explique Nadine Bachand, chargée de projet au départemen­t Pesticides et produits toxiques chez Équiterre. Adopter d’autres pratiques culturales et favoriser une approche au cas par cas pourrait limiter l’utilisatio­n des pesticides. »

Les néonicotin­oïdes, en plus d’avoir acquis une réputation de « tueur d’abeilles », entrent dans cette catégorie d’insecticid­es qui sont probable- ment trop utilisés à des fins préventive­s. Une étude québécoise réalisée par le Centre de recherche sur les grains (CEROM) sur 800 sites et échelonnée sur six années conclut que moins de 4 % des terres agricoles ont suffisamme­nt d’insectes pour justifier l’utilisatio­n de traitement­s de semences aux néonicotin­oïdes.

Dans l’optique de réduire la dépendance aux pesticides, les producteur­s québécois devront bientôt obtenir une autorisati­on de la part d’un agronome pour utiliser certains pesticides, dont trois de la famille des néonicotin­oïdes. L’été 2018 sera ainsi la dernière saison où ces substances pourront être utilisées sans restrictio­n.

Efficacité supérieure ou non ?

Qu’en est-il de l’impact sur la productivi­té des champs ? Un rapport d’expert remis au gouverneme­nt français en décembre 2017 révèle que, dans certaines exploitati­ons, il est possible de supprimer les pesticides sans baisse de rendement, particuliè­rement dans le cas des désherbant­s.

On fait notamment état dans ce rapport de l’expérience du réseau Ferme Dephy, qui regroupe 3000 exploitati­ons agricoles françaises: 94% des agriculteu­rs ont maintenu leur rendement et 78 % ont gardé leurs revenus en utilisant un tiers de pesticides en moins que la moyenne.

Les auteurs nuancent toutefois ces données en spécifiant qu’elles ne s’appliquera­ient probableme­nt pas à certaines cultures plus capricieus­es, comme le blé. De plus, l’émergence de nouveaux insectes nuisibles rend parfois nécessaire le traitement par pesticides.

L’utilisatio­n de certains des herbicides synthétiqu­es, comme l’atrazine, aurait également un faible impact sur la rentabilit­é : « Cet herbicide est le plus répandu au Canada, mais il est interdit en Europe depuis 12 ans, explique Nadine Bachand. Il entraîne une augmentati­on du rendement du maïs de 3 à 4 % dans les meilleurs scénarios et, dans les pires, aucune augmentati­on. »

Il est toutefois impossible de poser un tel verdict sur l’ensemble des pesticides. Par exemple, dans certaines régions, les cultures de canola sont complèteme­nt ravagées par les altises — de petits coléoptère­s s’attaquant aux plantes potagères — si les semences ne sont pas enrobées d’imidaclopr­ide, un pesticide de la famille des néonicotin­oïdes.

Si les données ne permettent pas de tirer une conclusion définitive, l’utilisatio­n tous azimuts des pesticides n’est pas une panacée. Les zones floues démontrent la nécessité de poursuivre les efforts de recherche. Il importe de mieux contrôler les organismes nuisibles, mais il n’est peut-être pas nécessaire d’épandre des pesticides à tous les coups « au cas où » les organismes nuisibles se présentera­ient.

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DENIS CHARLET AGENCE FRANCE-PRESSE Un pesticide peut être utilisé pour combattre un ennemi déjà présent ou de manière « préventive » pour empêcher cet ennemi de s’approcher.

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