Le grand gagnant de l’«affaire SLĀV» , c’est le théâtre
Devant les débats assez explosifs autour de l’annulation du spectacle SLĀV de Betty Bonifassi et Robert Lepage, une odyssée théâtrale à travers les chants d’esclaves, plusieurs réflexions meviennent à l’esprit. Les voici :
La censure est souvent un geste qui suscite la controverse. Peut- on l’éviter ? Je ne crois pas. La censure est parfois nécessaire dans certains contextes d’éthique sociale ( porno, propagande haineuse, etc). La censure artistique est souvent abusive. C’est cette censure arbitraire et sournoise que notre poète et dramaturge Claude Gauvreau a su si bien pourfendre, dans ses Oranges sont vertes avec cette verve iconoclaste qu’on lui connaît.
N’en déplaise aux censeurs, la censure artistique finit souvent par perdre. Et l’art triomphe la plupart du temps. Parce qu’on adore les oeuvres censurées. Une publicité au rabais, mais d’une redoutable efficacité favorise toujours à tort ou à raison l’oeuvre pros- crite. Adolescent, j’ai lu Sartre, Camus, Sade et Gide parce qu’ils étaient à l’index. Une sorte de censure littéraire au moralisme douteux d’une époque religieuse sans subtilité. Si SLĀV finit par être joué à Montréal, je vais, comme beaucoup d’autres, me précipiter, attiré par le spectacle censuré. Je suis convaincu d’avance que SLĀV est une oeuvre remarquable. Connaissant le travail de Robert Lepage et ses préoccupations rigoureuses de contenus, je m’attends à ce que SLĀV défende un point de vue émancipateur et respectueux des identités, tout en renouvelant les formes scéniques à la manière toujours étonnante de cet homme de théâtre atypique.
La pensée progressiste des années 1970 a engendré un monstre : la rectitude politique, ennemi numéro un de l’artiste visionnaire, quel qu’il soit, qui, briseur de conventions et inventeur de nouveaux horizons, vogue toujours hors des sentiers battus. Cette vision politiquement correcte mine même l’idéologie souvent pleine de bonnes intentions humanitaires des diffuseurs de culture. Les
responsables du Festival international de jazz de Montréal ont tant fait pour la société qu’ils méritent qu’on essaie au moins de se mettre à leur place et de comprendre leur discutable décision.
Les responsables du Festival international de jazz de Montréal ont commis sans doute une erreur devant un fait de société qui les a dépassés. J’avoue que, moi aussi, cette question multiculturelle finit parfois par mefaire perdre la boussole.
La réflexion autour de la parité culturelle connaît des dérapages qui font peur. Elle mérite d’être menée avec nuance et maturité.
Le grand gagnant de cette triste controverse, c’est le théâtre. Le théâtre offre une tribune exceptionnelle aux grands débats de société. Le prix actuel à payer pour les artisans de SLĀV est scandaleux, mais au- delà de cette annulation injustifiable, quelles passionnantes discussions vivons-nous en ce moment. Je suis fier d’être un artisan professionnel de cet art vieux comme le monde, mais qui, encore en 2018, continue d’être aussi percutant.