Le Devoir

Le policier Patrick Ouellet coupable de conduite dangereuse

Cet agent de la SQ a causé la mort d’un enfant par sa conduite dangereuse

- JEANNE CORRIVEAU Avec Marco Bélair-Cirino

Le policier Patrick Ouellet a été reconnu coupable, jeudi, de conduite dangereuse ayant causé la mort d’un enfant. Selon le juge Éric Simard, une filature ne justifiait pas que le policier circule à plus de 80 km/h au-dessus de la limite permise, sans sirène ni gyrophares, comme l’a fait Patrick Ouellet il y quatre ans.

Le 13 février 2014, Patrick Ouellet roulait à grande vitesse sur le boulevard Gaétan-Boucher, dans l’arrondisse­ment de Saint-Hubert à Longueuil, lorsqu’à l’intersecti­on du boulevard Davis sa voiture banalisée a percuté celle dans laquelle prenait place Nicholas Thorne-Belance, 5 ans, que son père conduisait à la garderie.

Quelques secondes avant l’impact, la vitesse du véhicule atteignait 134 km/h, dans une zone de 50 km/h. Circulant en sens inverse, l’autre voiture avait entrepris un virage à gauche lorsque la violente collision s’est produite. L’enfant, qui était dans son siège d’appoint à l’arrière du véhicule, est décédé dans les jours suivants.

Policier à la Sûreté du Québec (SQ ), Patrick Ouellet participai­t ce jour-là à une opération de filature menée par l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC) et visant Robert Parent, un ancien directeur du Parti libéral du Québec.

Comporteme­nt à risque

Le juge estime que rien ne justifiait le risque pris par le policier, d’autant qu’il s’agissait d’un quartier résidentie­l, que c’était un jour de semaine et qu’il était 7 h 50, moment où des dizaines, voire des centaines de personnes, incluant des enfants, étaient en route pour l’école, la garderie ou le travail.

« Il s’est placé volontaire­ment dans une situation où il lui était impossible de réagir adéquateme­nt aux imprévus qui allaient nécessaire­ment survenir », a souligné le juge.

« Il est clair que le défendeur a intentionn­ellement causé un danger pour les autres usagers de la route. Il savait ou ne pouvait ignorer les risques inhérents à un tel comporteme­nt», conclut le juge Simard. « Son omission de prendre des mesures pour éviter de tels risques constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respectera­it une personne raisonnabl­e placée dans la même situation. »

Assis dans la salle d’audience, Patrick Ouellet a gardé les yeux au sol pendant que le juge faisait la lecture de sa décision.

Lors de son procès, le policier avait soutenu que « la vitesse était la seule option » pour rattraper le suspect et ne pas faire échouer l’opération, alléguant que dans de telles missions, des excès de vitesse étaient parfois nécessaire­s. Il avait admis que l’opération menée ce jour-là n’était pas « urgente », mais néanmoins « pressante ».

L’avocate de Patrick Ouellet, Me Nadine Touma, n’a pas voulu commenter le verdict, mais elle a fait savoir que la défense porterait la décision en appel.

La Couronne s’est dite satisfaite de la décision du tribunal. Pour la famille de Nicholas Thorne-Belance, il s’agit d’une étape importante qui a été franchie, a indiqué la procureure de la Couronne, Me Geneviève Langlois : « Ils ont l’impression que justice a été rendue. »

Les observatio­ns sur la peine auront lieu le 22 octobre prochain. Patrick Ouellet est passible d’une peine d’emprisonne­ment maximale de quatorze ans.

Enquête indépendan­te

Présent lors du prononcé du verdict, Richard Rompré compatissa­it avec la famille Thorne-Belance. En 2012, son fils Éric, 25 ans, a perdu la vie dans un accident de voiture impliquant un policier qui répondait à un appel d’urgence. Celui-ci a été reconnu coupable de conduite dangereuse, mais son dossier est en appel.

Mais Richard Rompré était aussi peiné par le sort de Patrick Ouellet. « Ça n’aurait jamais dû arriver », a-t-il expliqué en montrant du doigt les lacunes de la SQ en matière de formation et d’encadremen­t.

En 2014, le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) avait initialeme­nt décidé de ne pas porter d’accusation­s contre le policier Ouellet à la lumière d’une enquête menée par le Service de police de la Ville de Montréal.

Après les révélation­s de La Presse sur les circonstan­ces de l’accident, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, avait cependant ordonné la tenue d’une enquête indépendan­te. Le comité chargé de cette enquête avait recommandé qu’une accusation de conduite dangereuse ayant causé la mort soit portée contre le policier.

L’interventi­on de la ministre à l’époque était exceptionn­elle, a rappelé le premier ministre Philippe Couillard jeudi, en marge du Conseil de la fédération au Nouveau-Brunswick. Selon lui, le gouverneme­nt n’a pas à ordonner au DPCP de revoir ses pratiques : « La première chose qui garantit la confiance du public envers le DPCP et d’autres institutio­ns, c’est leur indépendan­ce. »

En 2014, le DPCP avait aussi été critiqué pour ne pas avoir voulu divulguer les motifs pour lesquels il refusait de porter des accusation­s contre Patrick Ouellet. Depuis 2015, il le fait systématiq­uement quand les policiers sont impliqués, a indiqué au Devoir Robert Benoit, procureur au bureau de la directrice du DPCP.

Par ailleurs, c’est désormais le Bureau des enquêtes indépendan­tes qui, depuis 2016, enquête dans les dossiers impliquant des policiers.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Patrick Ouellet est passible d’une peine d’emprisonne­ment maximale de quatorze ans.

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