L’« État-nation juif » divise
L’adoption du projet de loi est un pas vers l’apartheid, selon certains
L’adoption jeudi matin, par le Parlement d’Israël, d’une loi faisant du pays un « État-nation juif » suscite des réactions divisées. Alors que certains soulignent qu’un racisme envers les Arabes est inhérent à la loi, d’autres trouvent ces accusations exagérées.
Cette loi fondamentale (qui fait office de constitution) établit Israël comme « l’État national du peuple juif où celuici applique son droit naturel, culturel, religieux et historique ». Elle fait de Jérusalem — « complète et unie » — sa capitale et de l’hébreu, sa langue officielle. Elle confère à la colonisation le statut de « valeur nationale » et l’encourage.
Elle a été adoptée par 62 voix contre 55, avec 2 abstentions.
« C’est un moment décisif dans l’histoire de l’État d’Israël qui inscrit dans le marbre notre langue, notre hymne et notre drapeau », a déclaré Benjamin Nétanyahou, qui est le chef du gouvernement considéré comme le plus à
On avance encore plus vers le précipice, par l’application d’une idéologie de l’ère coloniale
droite de l’histoire du pays.
Pendant les débats, le député arabe Ayman Odeh a brandi un drapeau noir pour marquer « la mort de notre démocratie ». D’après un autre député arabe, Youssef Jabareen, la loi encourage «non seulement la discrimination, mais aussi le racisme ». « Elle va perpétuer le statut d’infériorité des Arabes en Israël », a-t-il pointé.
Samir Saul, professeur d’histoire des relations internationales à l’Université de Montréal, est d’accord avec cette interprétation. La loi « officialise la mise à l’écart des Palestiniens », a dit le professeur. « C’est une marche vers l’exclusion officielle, une marche vers l’apartheid. » Il sera dorénavant légalement justifié de ne pas considérer les Arabes israéliens comme des égaux, a décrit M. Saul. Ceux-ci représentent 17,5 % de la population israélienne.
La loi signifie aussi la consécration sous forme juridique du projet sioniste. Et pour M. Saul, le racisme est sous-jacent au projet sioniste, «parce qu’il s’agit d’éliminer une population qui était là et de la remplacer par des gens d’ailleurs ».
« C’est l’aggravation du désastre dans la région, a déclaré Samir Saul. On avance encore plus vers le précipice, par l’application d’une idéologie de l’ère coloniale. »
Il existe dorénavant une confusion entre la notion de «nation» et celle « d’identité religieuse », a dit le professeur. « C’est une négation du principe du monde occidental, de la nation qui n’est pas basée sur la religion ou sur l’ethnie. Le sionisme est antithétique aux notions occidentales de l’organisation du monde. »
L’adoption de la loi par un écart de seulement sept voix de plus en faveur met en évidence le grand malaise qui l’accompagne, a affirmé M. Saul. « Les Israéliens ne sont pas des imbéciles. On les engage dans la voie de l’extrémisme. Le projet est en train de les ramener à l’ère médiévale de la définition de l’identité par la religion. »
Une loi qui offre des balises
Le professeur de science politique à l’UQAM Julien Bauer se trouvait à Jérusalem, jeudi, lorsqu’il a répondu aux questions du Devoir. « Il faut être très franc, la quasi-totalité des gens [ici] s’en foutent éperdument. » Le professeur voit plutôt dans l’adoption de cette loi (dont le projet était dans l’air depuis longtemps) une manoeuvre qui prend racine dans la complexité du système juridique israélien. Il considère qu’elle fera en sorte qu’il y ait moins de sources d’irritation dans la vie publique des Israéliens.
Il a expliqué que le système permet à la Cour suprême de « juger n’importe quel cas qui lui est proposé par n’importe quel citoyen », et que la nouvelle loi fondamentale permettra d’établir des bases, sur certains éléments, qui ne seront pas contestables. « J’ai l’impression que c’est une réponse à la Cour suprême d’Israël. Les gens considèrent qu’elle abuse de son pouvoir, et c’est largement à cause de ça qu’on a passé la nouvelle loi. »
D’après M. Bauer, les accusations de racisme ne sont « pas exagérées, c’est complètement con ». Il a ajouté que la langue arabe conserve un statut spécial et continuera à être reconnue dans les institutions publiques.
« Ce qu’on a voté hier à la Knesset, c’est quelque chose de la même nature que la loi 101 au Québec, a-t-il fait valoir. On peut trouver que la loi 101 est une violation fondamentale de tous les droits démocratiques, comme on peut décider que le français est la langue nationale du Québec. Les deux positions sont légitimes. »
« Ce n’est pas une attaque à la démocratie de dire qu’il y a des balises dans la société. Les gens qui disent qu’Israël n’est pas une démocratie sont des gens qui soit sont contre l’existence même d’Israël, soient détestent Nétanyahou », a maintenu M. Bauer.
Un contexte propice
D’après Samir Saul, l’adoption de cette loi jeudi participe d’un contexte favorable. «Les extrémistes en Israël, dirigés par Nétanyahou, sentent qu’ils ont une protection. Elle leur vient de Donald Trump, qui a reconnu que le pays appartient aux juifs d’Israël et pas aux Palestiniens.» M. Saul a soutenu que le président américain a besoin du lobby sioniste aux États-Unis pour se maintenir au pouvoir.
Issue compliquée
L’Union européenne s’est dite « préoccupée » par cette loi, puisqu’elle risque de «compliquer» la solution à deux États pour régler le conflit israélo-palestinien. La Turquie, de son côté, a estimé qu’elle «foulait aux pieds» le droit international et les droits des Arabes israéliens. La Jordanie, qui est liée à Israël par un traité de paix, a également dénoncé « une loi qui consacre la discrimination raciale», «éloigne les perspectives de paix » et « encourage l’extrémisme et la violence ».