La bataille des quotas
La survie de la chanson belge passe par sa diffusion, plaide le cofondateur du festival de Spa
Lieu repensé, programmation recentrée, le festival ardennais mène combat sur tous les fronts, y compris celui de l’augmentation des… quotas de diffusion de chanson belge sur les ondes belges. Air familier ?
Il fait sec dans la ville d’eaux, en ce premier jour des Francofolies, 25es du nom. Depuis des semaines, il fait fourneau dans la ville assoiffée. La campagne tout autour, si joyeusement
verdoyante sur les prospectus, a tristement jauni du côté où frappe le soleil. Ça frappe les esprits, aussi. Qu’est donc en train de devenir Spa la chérie des têtes couronnées, Spa la curative qui-adonné-son-nom-à-tous-les-spas, Spa l’élue des ablutions du tsar de toutes les Russies ? Spa la festive où la chanson belge pétille ?
Elle va se tarir, si on ne fait rien. Tout est menacé : les sources millénaires par les changements climatiques, et les FrancoFolies de Spa par manque de ressources, pour ne pas dire l’incurie de la gouvernance belge en matière d’appui à la chanson.
C’est ce qu’a soutenu Charles Gardier à plusieurs reprises dans la dernière année : le codirecteur et cofondateur du festival, qui est aussi député au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (où il préside la Commission de la culture), s’est inspiré du Québec pour exiger des quotas de diffusion décents pour la chanson belge à la radio d’État : un saut vertigineux de 4,5 % à 25 %.
Ce qui a fait rire la Chambre: dans l’enregistrement de la séance de questions relayé par les médias belges, on entend les élus railler Gardier et lui rappeler le « manque de qualité et le manque de productivité » des artistes au pays de Brel et de Stromae.
La liste
Le sang de Gardier a fait plusieurs tours : disons 45 tours. « Notre réservoir de talent est énorme », a-t-il répliqué vite fait. «En seulement deux jours, ma playlist “Artistes Fédération Wallonie-Bruxelles” compte déjà plus de 230 artistes et 8000 titres, soit plus de 600 heures ! »
En Flandre, note-t-il, les quotas à 25 %, qui sont en place depuis longtemps, font leur effet : les artistes flamands — qui chantent surtout en anglais — dominent dans les classements.
Nous sommes bien placés pour le savoir, les quotas de diffusion sont affaire de survie pour la production locale, bombardée de toutes parts, négligée des grands fournisseurs de musique en continu, de Spotify à Deezer. Non seulement les redevances sont-elles lilliputiennes, mais la fréquentation des spectacles s’en ressent.
C’est passablement comme chez nous : pour aller voir et entendre dans les salles et dans les festivals les chanteuses, chanteurs et groupes, il faut les avoir un jour vus et entendus… sur l’une ou l’autre des plateformes médiatiques d’aujourd’hui.
«Le talent existe en FWB», répète Gardier dans le journal L’Avenir. « Henri PFR, Roméo Elvis, Suarez, Loïc Nottet… pour ne citer qu’eux. Comment être frileux à ce point ? »
Surtout quand on crève. Et nous revoilà aux Francofolies de Spa. Où, pour que les coffres ne soient pas à sec, il a fallu repenser le site, qui était demeuré passablement inchangé en 25 ans.
Au départ, les scènes avaient été disséminées sans regarder la dépense, la place de l’Hôtel-de-Ville accueillait les grandes vedettes, les « bars en folies » regorgeaient d’artistes émergents (dont beaucoup de Québécois et d’Acadiens), l’électro avait son antre, la chanson d’auteur ses pénates au vieux Casino, et les jeunes gens dans le vent se partageaient le parc de Sept Heures.
Tout le monde à la même place
Cette année, tout se passe dans le parc de Sept Heures (dit le parc Francofou). On avait déjà procédé à des relocalisations, mais ce sont les attentats terroristes — le camion-bélier à Nice, tout particulièrement — qui ont précipité le rapatriement : ça coûte un bras et une jambe, toute cette sécurité.
Qui plus est, les conséquences de la nouvelle donne dans le monde des festivals ont eu leur prix : les grands noms à gros cachets attiraient moins qu’avant sur la scène Pierre-Rapsat de la place de l’Hôtel-de-Ville. Et ces fameux quotas faméliques n’arrangeaient rien : comment faire voir les artistes par toutes les générations, faute d’exposition médiatique ?
Au collègue Thierry Coljon dans Le Soir, plus tôt cette semaine, Gardier expliquait son approche unifiée : « La magie du festival, c’est son côté familial, avec un public très large, très éclaté. Ça a toujours existé. Mais plutôt que de séparer les publics, on préfère les mélanger. »
La grande question est là : les admirateurs de Francis Cabrel iront-ils fureter du côté de Charlotte et des Lost Frequencies ? Les fans de Coeur de pirate s’enticheront-ils d’Isolde ou de Blanche, artistes belges peu diffusés ? C’est le pari francofou de Gardier. Abreuver, désaltérer, éclabousser tout le monde. Une drache par artiste.