Le Devoir

L’histoire de la Lune est pleine de rebondisse­ments

Cinq décennies après leur récolte lors des missions Apollo, les pierres lunaires — comme celle qui fait son entrée aujourd’hui au Centre des sciences de Montréal — fascinent encore les chercheurs et alimentent un vigoureux débat scientifiq­ue sur l’origine

- ALEXIS RIOPEL LE DEVOIR

L’histoire typiquemen­t acceptée, c’est qu’un gros objet de la taille de Mars est entré en collision avec la Terre, raconte David Lafrenière, astrophysi­cien à l’Université de Montréal. Les débris créés par l’impact, provenant aussi bien de la Terre que du projectile, se seraient ensuite amalgamés afin de former la Lune. » Ce scénario, appelé l’hypothèse de l’impact géant, a été formulé après l’analyse des roches lunaires ramenées sur Terre par les astronaute­s de la NASA.

« Grâce aux pierres lunaires, on a réalisé qu’au début de son histoire, la Lune était un corps rocheux en fusion complète », indique Richard W. Carlson, géochimist­e à la Carnegie Institutio­n de Washington, aux États-Unis. En conséquenc­e, la Lune a été formée lors d’un événement extrêmemen­t énergétiqu­e. « Les gens ont commencé à essayer de déterminer quel processus pouvait fournir autant d’énergie, et ils ont abouti à l’hypothèse de l’impact géant », poursuit M. Carlson.

« Avant d’avoir mis la main sur les échantillo­ns de roches, plusieurs hypothèses étaient envisagées, explique David Lafrenière. L’une d’elles voulait que la Lune se soit formée lorsque la Terre était encore à l’état liquide. Une autre postulait que la Lune était à la dérive et que le champ gravitatio­nnel terrestre l’avait attrapée. On s’est ensuite rendu compte que ces hypothèses ne tenaient pas la route. »

Au tournant des années 2000, la physicienn­e de l’Université du Colorado Robin Canup et ses collègues renforçaie­nt l’hypothèse de l’impact géant en réalisant des simulation­s numériques détaillées de la collision. En considéran­t un projectile qui frappe la Terre avec un angle prononcé, ils arrivaient à expliquer la vitesse de rotation du système Terre-Lune actuel. Ils calculaien­t aussi que 70 à 90 % de la masse de la Lune provient du corps étranger. Les preuves commençaie­nt à s’accumuler, si bien que le projectile planétaire géant fut officieuse­ment baptisé Théia, en l’honneur de la mère de Séléné, la déesse de la Lune dans la mythologie grecque.

Première fausse note

Toutefois, en 2001, un premier coup est porté à l’hypothèse de l’impact géant. Une analyse plus précise de la compositio­n des roches lunaires illuminait une troublante ressemblan­ce avec leurs cousines terrestres.

Ce sont dans les noyaux d’oxygène des roches qu’on retrouve la ressemblan­ce suspecte. Dans la nature, tous les noyaux d’oxygène sont composés de huit protons ainsi que de huit, neuf ou dix neutrons. Chacune de ces « espèces » d’oxygène est appelée un isotope. L’abondance relative de chaque isotope est très bien connue sur Terre. Ailleurs dans le système solaire, les rapports sont différents. Si la Lune est bien l’héritière de Théia, on s’attendait donc à y mesurer des rapports isotopique­s différents de ceux qu’on observe sur Terre. On réalisa pourtant qu’ils étaient identiques.

Tant que l’observatio­n se limitait aux atomes d’oxygène, on pouvait encore croire à la coïncidenc­e. Toutefois, dans les années suivant cette première découverte, des chercheurs réalisèren­t la même chose pour d’autres éléments, comme le silicium et le titane. « Au fil du temps, l’argument des isotopes se resserrait de plus en plus », relate Richard W. Carlson.

Deux possibilit­és émergeaien­t alors: soit Théia avait exactement les mêmes rapports isotopique­s que la Terre (ce qui était hautement improbable), ou bien la Lune est essentiell­ement constituée de matériel terrestre. Cette dernière option mettait sur la glace l’hypothèse de l’impact géant telle qu’imaginée.

Nouvelles hypothèses

Ces nouvelles observatio­ns inspirèren­t les théoricien­s dans l’élaboratio­n de nouvelles hypothèses pour expliquer la formation de la Lune.

Des chercheurs proposèren­t en 2010 que la Lune soit née de multiples collisions avec de nombreux petits projectile­s riches en glace. D’autres suggérèren­t en 2012 qu’une forte collision fit tourner la Terre si rapidement que la force centrifuge en arracha du matériel. En 2017, Sarah Stewart, géophysici­enne à l’Université de Californie à Davis, avançait une idée encore plus exotique. « Dans cette hypothèse, l’impact est si puissant que la Terre et le projectile se détruisent mutuelleme­nt et forment un nuage de roche vaporisée qu’on appelle le synestia, explique M. Carlson. Les éléments les plus lourds restent plus près du centre et finissent par former le noyau de la Terre, tandis que les éléments plus légers donnent naissance à la Lune. » « Ce n’est pas impossible », commente-t-il.

Personne n’a encore été en mesure de trancher le débat. Cependant, selon Richard W. Carlson, il ne fait maintenant plus de doute que la Lune est principale­ment constituée de matériaux provenant de la Terre, plus précisémen­t de son manteau. C’est surtout l’analyse du tungstène dans les pierres lunaires qui le fait pencher vers cette conclusion. Au coeur des roches, la dégradatio­n de hafnium en tungstène agit comme une horloge nucléaire qui permet de dater la formation d’une planète ou d’un satellite. Le taux de tungstène mesuré dans les roches lunaires laisse entendre que le satellite partage une histoire commune d’accrétion et de différenti­ation avec la Terre. Cet indice supplément­aire «plante les derniers clous dans le cercueil », explique M. Carlson : « la Lune est essentiell­ement faite de manteau terrestre ».

L’hypothèse de l’impact géant demeure donc le scénario le plus vraisembla­ble, mais la collision s’est déroulée d’une manière qu’on ne comprend pas encore. Théia a frappé, mais ce n’est pas ses résidus qui créèrent la Lune. Pour trouver l’explicatio­n, les scientifiq­ues devront fermer leurs livres et se replonger au coeur des pierres lunaires.

La Lune est essentiell­ement faite de manteau terrestre RICHARD W. CARLSON

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