Ford passe à l’offensive
L’Ontario se joint à la Saskatchewan pour combattre la taxe sur le carbone
Après avoir tourné le dos au marché du carbone, le premier ministre Doug Ford se donne pour mission d’«envoyer à la casse » la taxe sur le carbone, qui est « une mauvaise taxe pour les familles, une mauvaise taxe pour les entreprises », selon lui.
Pour y arriver, l’Ontario appuiera les efforts de la Saskatchewan visant à faire invalider la mesure fiscale fédérale devant les tribunaux. « L’Ontario […] emploiera tous les outils à sa disposition pour contester la taxe carbone du fédéral », a-t-il annoncé à la presse en marge d’une rencontre de travail du Conseil de la fédération, jeudi. « Ceci est un important pas dans la lutte contre la taxe sur le carbone fédérale. »
Son homologue saskatchewanais, Scott Moe, a soutenu que la taxe sur le carbone constitue une mesure « inefficace qui ne diminue tout simplement pas les émissions de gaz à effet de serre [GES] », en plus de nier la « diversité » de l’économie canadienne. « La taxe sur le carbone réduit les emplois. La taxe sur le carbone réduit les occasions [d’affaires]», a-t-il martelé. La province a
demandé à la Cour d’appel de déterminer si Ottawa a compétence pour édicter une telle taxe. Plusieurs provinces doutent des chances de succès de son offensive judiciaire. Pas Doug Ford.
La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, s’est dite déçue, jeudi, de voir le gouvernement progressiste-conservateur ontarien «dépens[er] 30 millions de dollars de l’argent des contribuables » pour briser l’élan de ceux et celles engagés dans la lutte contre les changements climatiques.
Moe et Ford en campagne
Scott Moe et Doug Ford sollicitaient — dans des « discussions de couloir », a précisé l’hôte de la rencontre estivale des premiers ministres, Brian Gallant
— les appuis de leurs homologues provinciaux et territoriaux afin de forcer Ottawa à battre en retraite… avec un succès relatif.
En effet, le couple Ontario-Saskatchewan n’est pas parvenu à faire le plein d’appuis. Les partisans d’une tarification du carbone ne se sentent pas isolés, « pas du tout », a souligné le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Stephen McNeil. Son homologue de la Colombie-Britannique, John Horgan, s’est évertué mercredi après-midi à défendre l’approche de tarification du carbone adoptée par sa province il y a près de dix ans. « Le ciel ne nous est pas tombé sur la tête», a-t-il souligné aux médias. « Pour répondre à certains arguments qu’on entend, s’il y a un endroit où on a démontré qu’on peut avoir une tarification du carbone et une croissance économique très forte […] c’est bien le Québec», a poursuivi le premier ministre québécois, Philippe Couillard.
Une distraction ?
Même si MM. Ford et Moe ont, jusqu’ici échoué à convaincre leurs homologues de monter au front afin de faire voler en éclats le modèle pancanadien pour la tarification du carbone, ils sont parvenus à raviver le débat à son sujet au sein de la fédération.
M. Gallant, qui avait mis « l’accès aux marchés, la croissance économique et la compétitivité » à l’ordre du jour des discussions des premiers ministres jeudi, ne leur en tient pas rigueur. « Mettre un prix sur la pollution du carbone, qui figure dans une discussion plus large sur les changements climatiques, c’est une discussion très importante. Alors, je ne dirai jamais qu’il s’agit d’une distraction», a déclaré le chef du gouvernement néo-brunswickois.
En attaquant la constitutionnalité de la taxe sur le carbone, l’Ontario et la Saskatchewan ne renoncent pas pour autant à combattre les changements climatiques, a poursuivi M. Gallant. « Il faut donner la chance aux joueurs parce qu’on a des provinces qui disent : on va changer notre plan pour combattre les changements climatiques. Alors, c’est prématuré de dire qu’il ne va rien y avoir», a-t-il soutenu, attendant de « voir quel mécanisme ils vont [privilégier] ».
De 10 à 50 $ la tonne
Le gouvernement fédéral exhorte les provinces à donner corps au concept de « tarification du carbone » en instaurant une taxe de leur cru ou encore en imitant le Québec et la NouvelleÉcosse, qui participent tous deux à un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de GES. Le plan retenu par les provinces devra prévoir un prix initial de 20 $ la tonne de carbone émis, qui croîtra à raison de 10 $ par année pour atteindre 50 $ en 2022, sinon la taxe sur le carbone fédérale s’appliquera, a mis en garde la ministre Catherine McKenna.
Dans un tel cas, «les consommateurs » du Nouveau-Brunswick « paieraient davantage », a averti le premier ministre Brian Gallant. Mais, grand bien leur fasse, son gouvernement a adopté son propre « plan ». « Notre plan est de demander aux grandes entreprises, qui sont en train de produire la majorité des émissions dans notre province, de fournir leur part d’efforts. Les consommateurs n’auraient pas un cent de plus à payer lorsqu’ils vont remplir leur voiture [d’essence] », a-t-il soutenu. Le plan néo-brunswickois est conforme aux exigences fédérales, est d’avis le premier ministre. Mais si ce n’est pas le cas, la province le révisera afin d’esquiver la taxe fédérale, a-t-il ajouté. « Avec tout le respect que je dois à la ministre McKenna, je pense qu’elle a beaucoup plus de mal à convaincre d’autres provinces d’élaborer un plan. Alors, je lui suggère respectueusement qu’elle se concentre sur elles. »
Le gouvernement fédéral passera au peigne fin chacun des plans des provinces et des territoires cet automne. Il s’est engagé à restituer à chaque province tous les revenus de la taxe sur le carbone qui seraient perçus sur leur territoire.
MM. Ford et Moe ont refusé jeudi de répondre aux questions des journalistes. D’ailleurs, ceux-ci sont tenus à l’écart de la salle de conférence de l’hôtel The Algonquin Resort St. Andrews by-the-Sea, où les premiers ministres sont réunis jeudi et vendredi. « J’ai hâte de sortir et de faire le tour de la ville », avait déclaré M. Ford jeudi matin ― avant même la première session de travail des membres du Conseil de la fédération.
Pour répondre à certains arguments qu’on entend, s’il y a un endroit où on a démontré qu’on peut avoir une tarification du carbone et une croissance économique très forte […] c’est bien le Québec PHILIPPE COUILLARD