Le Devoir

Mont Yamaska, un tremplin vers les nuages

Embrasser le Québec du haut des airs pour y découvrir cimes et sommets porteurs d’histoires, de légendes, d’espèces vivantes ou de personnage­s hors norme : tel est le pari de cette série estivale, dont le troisième texte lève le voile sur le mont Yamaska.

- ÉRIC DESROSIERS

La Citadelle. Le sommet de la montagne n’aura jamais aussi bien porté son surnom que lui ont donné les habitants de la région. Pour l’heure, ces derniers doivent en effet se résigner à regarder le mont Yamaska d’en bas à l’exception de quelques propriétai­res privilégié­s et de drôles d’oiseaux qui le survolent quand les vents sont favorables.

La plupart des gens passent à côté de la montagne à toute vitesse sur l’autoroute 10 sans la remarquer. À 70 km à l’est de Montréal, à mi-chemin entre Granby et Rougemont — une autre montérégie­nne comme elle —, la petite montagne verte, qui culmine à 416 mètres, fait le dos rond au milieu de grands champs de maïs, de soya et de foin.

On trouve blotti à ses pieds le petit village de Saint-Paul-d’Abbotsford, fondé au XVIIe siècle par des francophon­es de la seigneurie de Saint-Hyacinthe et une communauté anglophone formée de loyalistes fuyant la révolution américaine et de riches familles de Montréal venues y construire leurs résidences d’été. Cette dernière y a laissé notamment des bâtiments religieux aujourd’hui classés historique­s, rapporte Gilles Bachand, président de la Société d’histoire et de généalogie des Quatre Lieux.

La montagne tire son nom de la rivière qui fait un détour de son côté et que les Abénaquis reconnaiss­aient à «la grande quantité de joncs» à son embouchure.

Ces premiers habitants du territoire l’appelaient eux-mêmes Wigwômaden­ek, c’est-à-dire: «la montagne en forme de maison ». On raconte depuis longtemps que cette « maison » abriterait un ancien cimetière amérindien. « Au moins deux anciennes cartes en indiquent l’endroit, mais elles ne sont pas claires, dit l’historien amateur. Des gens racontent, de temps à autre, avoir trouvé l’endroit, mais là non plus, ce n’est pas concluant. »

Cette légende s’est entourée d’une couche supplément­aire de mystère depuis que du vandalisme et les quads ont amené les quelque 200 propriétai­res de terrains privés sur le mont Yamaska, dont plusieurs acériculte­urs, à fermer ses voies d’accès par de grosses barrières cadenassée­s. Depuis, ils sont les seuls à aller là où, auparavant, on pouvait faire des pique-niques et de la randonnée et qui, avant cela, avait été un lieu prisé par les motoneigis­tes et avait même brièvement eu, il y a longtemps, une pente de ski alpin.

Au-delà des sommets

Les seuls ? Pas tout à fait. Les adeptes d’une activité bien particuliè­re ont su conserver l’accès aux chemins menant à quelques points au sommet leur permettant d’y prendre leur envol. On peut les voir durant la belle saison, lorsque le ciel n’est pas trop chargé et les vents pas trop forts, tournoyer audessus de la montagne avec leurs parapentes et leurs deltaplane­s aux couleurs vives, certains poussant l’audace jusqu’à monter dans les nuages ou partir à des kilomètres au loin.

Certains font ainsi la boucle entre les monts Yamaska, Rougemont et SaintGrégo­ire. D’autres vont jusqu’à Magog, le mont Mégantic ou à la frontière américaine. On en a même vu un se rendre au mont Adstock, près de Thetford Mines, à 200 km plus loin.

La grande popularité du lieu tient à sa proximité de Montréal, mais aussi au fait qu’on peut y décoller quelle que soit la direction du vent.

« Un vol peut durer 3 minutes comme 12 heures, selon les conditions, le pilote et sa chance », explique Martin La- vertu, un pilote de parapente chevronné dont la conjointe, Françoise, et le fils aîné de 16 ans pratiquent la même activité, comme bientôt ses trois autres plus jeunes enfants.

« Pour moi, ce n’est pas vraiment une affaire d’adrénaline. C’est plutôt le plaisir d’avoir tous ses sens en éveil pour savoir trouver et profiter des courants d’air ascendants. C’est vrai qu’on a parfois des moments contemplat­ifs quand on se retrouve à 2000 mètres d’altitude, mais c’est beaucoup aussi une affaire de formation continue, de préparatio­n et de discipline, parce qu’il y a une part de risque. »

Cette passion a amené le couple à acheter, il y a une quinzaine d’années, une propriété agricole au pied de la montagne qu’il a transformé­e en vignoble appelé Les petits cailloux.

Martin et Françoise, avant cela programmeu­r et technicien­ne de bureau, y produisent aujourd’hui de 10 000 à 15 000 bouteilles de vin, accueillen­t des visiteurs au domaine et y organisent une fois l’an un grand spectacle de musique qui mettra en scène, ce mois d’octobre, un groupe hommage à Pink Floyd.

Ravoir sa montagne

Saint-Paul-d’Abbotsford compte trois autres vignobles, ainsi que plusieurs autres producteur­s de fruits, notamment des pomiculteu­rs.

En fait, dit Gilles Bachand, c’est même là qu’ont été importées, puis développée­s pour la première fois, plusieurs des variétés de pommes du Québec. Quant aux érables du mont Yamaska, leur grand âge permet de produire un sirop d’une telle qualité qu’on voudrait obtenir une appellatio­n locale reconnue.

Ce ne sont pas les seuls atouts dont dispose Saint-Paul-d’Abbotsford, dit son maire, Robert Vyncke. En poste depuis seulement deux ans, il compte y attirer plus de familles, de commerces et d’entreprise­s en misant notamment sur la beauté des lieux et la qualité de vie, ce qui permettrai­t, espère-t-il, de faire passer la population du village d’un peu moins de 3000 habitants à 4000 d’ici 5 à 10 ans.

L’un de ses engagement­s phares est de redonner aux gens accès à leur montagne. Les négociatio­ns avec les propriétai­res des terrains concernés iraient d’ailleurs bon train, dit le maire.

« Les gens veulent ravoir le droit d’aller sur ce qu’ils appellent “notre montagne”. Mais tout sera bien encadré. L’accès sera réservé aux citoyens et à leurs proches. On ne veut pas se retrouver avec des foules comme on voit parfois ailleurs. »

En attendant, ou pour les autres, vous pouvez prendre rendez-vous pour aller visiter le vignoble Les petits cailloux. Le forfait y comprend non seulement du vin et une visite du domaine, mais aussi l’accès à un sentier menant au sommet. Sinon, il est possible d’acheter un vol en tandem au club de parapente et de deltaplane local.

 ?? DISTANCE VOL LIBRE ?? Lorsque le ciel n’est pas trop chargé et les vents pas trop forts, les parapentes et les deltaplane­s tournoient au-dessus de la montagne.
DISTANCE VOL LIBRE Lorsque le ciel n’est pas trop chargé et les vents pas trop forts, les parapentes et les deltaplane­s tournoient au-dessus de la montagne.

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